4. Les restrictions imposées à la liberté de réunion doivent passer avec succès un test en trois volets
Le droit à la liberté de réunion pacifique n’est pas un droit absolu, et il peut faire l’objet de restrictions. Les principaux traités internationaux qui consacrent ce droit prévoient un test strict similaire pour ce qui est des restrictions y afférentes (voir l’article 21 du PIDCP, l’article 11 de la CADHP, l’article 15 de la CADH et l’article 11, point 2, de la ConvEDH). Dans le cadre de ce test, les restrictions à la liberté de réunion pacifique ne sont autorisées que dans les cas suivants : (1) si elles sont imposées conformément à la loi ; (2) si elles visent un but légitime, et (3) si elles sont nécessaires dans une société démocratique, ce qui signifie que toute restriction doit passer avec succès un test strict en termes de nécessité et de proportionnalité.
4.1 Qu’est-ce qu'une restriction ?
En général, toute mesure adoptée par les autorités susceptible d’avoir une incidence négative sur l’exercice de la liberté de réunion constitue une restriction qui doit passer avec succès le test en trois volets. La CEDH a souvent déclaré ce qui suit :
[U]ne ingérence dans l’exercice de la liberté de réunion pacifique liberté ne doit pas forcément consister en une interdiction totale, légale ou de facto, mais peut consister en diverses autres mesures adoptées par les autorités. Le terme « restrictions » de l’article 11, point 2, doit être interprété comme englobant aussi bien les mesures prises avant ou durant la réunion que celles, telles que les mesures punitives, adoptées par la suite.[1] Voir, par exemple,Gafgaz Mammadov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 15 octobre 2015, point 50 ; Gülcü c. Turquie, CEDH, arrêt du 19 janvier 2016, point 91. (uniquement disponible en anglais)
Ainsi, les actions telles que le fait d’empêcher un individu de se rendre jusqu’à la réunion, la dispersion de cette dernière et l’arrestation des participants ou l’imposition de sanctions du fait d’avoir participé à la réunion constituent toutes des restrictions.[2]Gafgaz Mammadov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 15 octobre 2015, point 50. (uniquement disponible en anglais). La CEDH a précisé que les sanctions imposées pour d’autres infractions, telles que la désobéissance vis-à-vis de la police, constituent encore des restrictions si la sanction est en réalité directement liée à l’exercice du droit de la liberté de réunion pacifique.[3]Gafgaz Mammadov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 15 octobre 2015, point 50. (uniquement disponible en anglais).
4.2 Premier volet : Prescrit conformément à la loi
Les mécanismes internationaux ont établi clairement que le premier volet du test signifie, premièrement, que la restriction à la liberté de réunion devait se fonder sur un instrument approprié de droit interne, et deuxièmement, que ledit instrument devait satisfaire au principe de légalité, à savoir qu’il doit s’agir d’un instrument accessible au public et suffisamment clair et précis pour éviter les ingérences arbitraires.
Types d’instrument considérés comme relevant de la « loi »
La CIDH a considéré que, dans le contexte des restrictions légitimes aux droits, le terme de « loi » faisait référence à
Néanmoins, la CEDH adopte une approche quelque peu différente à ce propos ; elle interprète le terme « loi » dans son sens « substantifs » et pas nécessairement dans son sens formel. Elle autorise l’imposition de restrictions par le biais d’actes règlementaires d’un rang inférieur (y compris les mesures règlementaires adoptées par des organismes réglementaires professionnels en vertu des pouvoirs qui leur sont délégués), voire de la jurisprudence orale.[8] Voir Gülcü c. Turquie, CEDH, arrêt du 19 janvier 2016, point 104, et références qui y sont citées. (uniquement disponible en anglais) Néanmoins, à l’instar de la CIDH, la CEDH souligne que si des pouvoirs sont accordés à des organes exécutifs pour restreindre le droit de réunion, « la loi doit préciser suffisamment clairement la portée de ce pouvoir discrétionnaire et les modalités d’exercice y afférentes ».[9]Lashmankin et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 7 février 2017, point 411. (uniquement disponible en anglais)
Exigence de prévisibilité et d’accessibilité
Toute loi qui règlemente le droit à la liberté de réunion doit être accessible au public et suffisamment claire et précise pour éviter les ingérences arbitraires et permettre à ceux qui exercent le droit de comprendre leur obligations. Le Comité des droits de l’homme a déclaré ce qui suit :
[…] pour être considérée comme une « loi » une norme doit être libellée avec suffisamment de précision pour permettre à un individu d’adapter son comportement en fonction de la règle et elle doit être accessible pour le public. La loi ne peut pas conférer aux personnes chargées de son application un pouvoir illimité de décider de la restriction de la liberté d’expression. Les lois doivent énoncer des règles suffisamment précises pour permettre aux personnes chargées de leur application d’établir quelles formes d’expression sont légitimement restreintes et quelles formes d’expression le sont indûment.[10]Comité des droits de l’homme, Observation générale 34 : Article 19(Libertés d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 25. (uniquement disponible en anglais)
De même, la CEDH fait valoir que les lois doivent être accessibles et leur application prévisible :
[L]expression « prévue par la loi » contenue à l’article 11 de la Convention n’implique pas uniquement que la mesure contestée se fonde dans le droit interne, mais fait également référence à la qualité de la loi en question. La loi doit être accessible pour les personnes concernées, et elle doit être énoncée avec suffisamment de précision pour leur permettre (en s’entourant au besoin de conseils éclairés) de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences qui peuvent découler d’un acte déterminé.[11] Voir, par exemple, Shmushkovych c. Ukraine, CEDH, arrêt du 14 novembre 2013, point 37 ; (uniquement disponible en anglais)Rekvényi c. Hongrie, CEDH, arrêt du 20 mai 1999, point 34.
Les restrictions à la liberté de réunion doivent poursuivre un but légitime. Le PIDCP ne considère comme buts légitimes que les buts suivants : « dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui ».[14] Dans le cadre de la ComADHP, des restrictions peuvent être appliquées dans l’intérêt de la « sécurité nationale, de la sûreté d’autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes » ; dans celui de la CADH, on évoque « la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publics, ou à la sauvegarde des droits ou libertés d’autrui » et enfin, dans le cadre de la ConvEDH, il est question de « la sécurité nationale, de la sûreté publique, de la défense de l’ordre et de la prévention du crime, de la protection de la santé ou de la morale, ou de la protection des droits et libertés d’autrui ».
Les traités régionaux reconnaissent des buts similaires, avec certaines différences quant à la formulation. Selon le Comité des droits de l’homme, c’est à l’État de préciser le but poursuivi :
Une tendance mondiale croissante a été observée au niveau des États, qui abusent des intérêts légitimes énumérés pour restreindre les droits de l’homme, par exemple en fondant leurs mesures restrictives sur de larges interprétations des intérêts légitimes ou sur une terminologie vaguement liée à ces derniers. Concernant la sécurité nationale, le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression mettait spécifiquement en garde vis-à-vis de
4.4 Le troisième volet : La nécessité dans une société démocratique
En droit international, les restrictions à la liberté de réunion doivent être « nécessaires dans une société démocratique » pour atteindre le but qu’elles poursuivent.
Le Comité des droits de l’homme a expliqué que pour qu’il en soit ainsi, un test de nécessité et de proportionnalité devait être passé avec succès :
La nécessité signifie que la restriction ne doit pas être seulement appropriée, mais doit également répondre à un besoin impérieux susceptible de l’emporter sur l’importance de la liberté de réunion. La CIDH a jugé ce qui suit :
[I]l ne suffit pas, par exemple, d’établir qu’une loi remplit un but utile ou souhaitable ; pour être compatibles avec la Convention, les restrictions doivent être justifiées par des buts collectifs qui, au vu de leur importance, l’emportent clairement sur la nécessité sociale de pouvoir jouir pleinement du droit (…).[27]Ricardo Canese C. Paraguay, CIDH, arrêt du 31 août 2004, point 96. (uniquement disponible en anglais).
De même, la CEDH exige de démontrer que la restriction répond à un « besoin social impérieux », ce qui doit être établi de façon convaincante par les autorités :
Une ingérence sera considérée « nécessaire dans une société démocratique » pour un but légitime si elle répond à un « besoin social impérieux » et notamment, si elle est proportionnée par rapport au but légitime poursuivi et si les raisons invoquées par les autorités nationales pour la justifier sont « pertinentes et suffisantes ».[28]Kasparov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 3 octobre 2013, point 86. (uniquement disponible en anglais)
La proportionnalité signifie que l’ingérence dans la liberté de réunion ne doit pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l’objectif légitime poursuivi. Aussi, si l’État dispose de différents moyens d’atteindre ledit objectif, il doit choisir la mesure la moins intrusive. C’est ainsi, par exemple, que dans le cadre d’une affaire où les autorités avaient rejeté, purement et simplement, une demande d’autorisation d’une manifestation, le Comité des droits de l’homme a considéré ce qui suit :
[L’État partie n’a pas] montré que le rejet de la demande d’organiser une manifestation constituait une entrave proportionnée au droit de réunion pacifique − en d’autres termes, qu’elle constituait le moyen le moins intrusif susceptible d’aboutir au résultat recherché par l’État partie et qu’elle était proportionnée aux intérêts que l’État partie cherchait à protéger.[29]
Dans le cadre de la ComADHP, des restrictions peuvent être appliquées dans l’intérêt de la « sécurité nationale, de la sûreté d’autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes » ; dans celui de la CADH, on évoque « la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publics, ou à la sauvegarde des droits ou libertés d’autrui » et enfin, dans le cadre de la ConvEDH, il est question de « la sécurité nationale, de la sûreté publique, de la défense de l’ordre et de la prévention du crime, de la protection de la santé ou de la morale, ou de la protection des droits et libertés d’autrui ». ↑