Si les organisateurs d’une réunion ont des intentions pacifiques, ils exercent leur droit de réunion pacifique.[1] Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 25 ; BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 1.3. Il en sera ainsi même si, en dépit de leurs intentions, des actes violents sont perpétrés par des tiers. Selon la Cour européenne des droits de l’homme :
Le droit à la liberté de réunion pacifique est garanti à quiconque a l’intention d’organiser une manifestation pacifique. La possibilité que des extrémistes aux intentions violentes non membres de l’association organisatrice se joignent à la manifestation, ne peut pas, comme telle, supprimer ce droit.
[2] Parti populaire chrétien-démocrate c. Moldavie (n° 2), CEDH, arrêt du 2 février 2010, point 23 ; voir également Schwabe et M.G. c. Allemagne, CEDH, arrêt du 1er décembre 2011, point 103 et Christians against Racism and Fascism c. Royaume-Uni, ComEDH, décision du 16 juillet 1980, point 4.
Il en va de même pour ce qui est des participants à une réunion ; un individu dont les intentions et les actions sont pacifiques ne se voit pas privé de la protection de son droit lorsque des tiers s’adonnent à des actes violents. Dans l’affaire Ziliberberg c. Moldavie, la CEDH avait, en effet, jugé ce qui suit :
[La] jouissance par un individu du droit de réunion pacifique ne cesse pas du fait que des actes sporadiques de violence ou d’autres comportements répréhensibles soient perpétrés par des tiers dans le cadre de la manifestation, sous réserve que les intentions ou le comportement de l’individu en question soi(en)t demeuré(e)s pacifique(s). Bien que la manifestation soit devenue graduellement violente, rien ne permet de supposer que le requérant ait participé lui-même aux actes de violence, ou qu’il ait hébergé quelque intention violente que ce soit. (…) Aussi, la Cour conclut que l’article 11 s’applique en l’espèce.
[3] Ziliberberg c. Moldavie, CEDH, décision du 4 mai 2004, point 2. (uniquement disponible en anglais).
Le Rapporteur spécial des Nations Unies et les lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique du BIDDH/OSCE soulignent que lorsqu’une personne exerce le droit de réunion, le caractère pacifique de ses intentions doit être présumé, et cela jusqu’à preuve du contraire.[4] Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 25 ; BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Notes explicatives, point 25. La CEDH confirme que la charge de la preuve pèse sur les autorités :
Par ailleurs, le fait que des actes violents interviennent ne constitue pas une preuve suffisante qu’une telle situation était souhaitée par les organisateurs :
Même si les participants à un rassemblement ne sont pas pacifiques et perdent ainsi leur droit de réunion pacifique, ils n’en conservent pas moins tous leurs autres droits, sous réserve des restrictions normales. Aucune réunion ne devrait donc échapper à toute protection.[7] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, 4 février 2016, point 9. Rapport conjoint concernant la bonne gestion des rassemblements /span>
Le fait que les organisateurs entendent faire obstacle ou obstruction à la personne ou à l’entité à l’encontre de laquelle la manifestation s’adresse ne signifie pas que leurs intentions ne sont pas « pacifiques ».[8] BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2ème édition, 2010, Ligne directrice 1.3. Dans l’affaire Karpyuk et autres c. Ukraine, la CEDH a déclaré ce qui suit :
[L]es organisateurs avaient l’intention que la manifestation soit obstructive, mais pacifique, le rassemblement devant occuper l’espace entourant le monument Shevchenko et empêcher ainsi le président ukrainien d’y déposer des fleurs. Or, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, de telles actions d’obstruction bénéficient, en principe, de la protection des articles 10 et 11.
[9] Karpyuk et autres c. Ukraine, CEDH, arrêt du 6 octobre 2015, point 207. (uniquement disponible en anglais)
Dans l’affaire Kudrevičius et autres c. Lituanie [cliquer ici pour un exposé complet], la Grande Chambre de la CEDH s’est montrée plus prudente concernant les réunions qui perturbent délibérément les activités des tiers qui ne sont pas visés par la protestation, comme, par exemple, dans le cas des blocages des autoroutes importantes. La Cour a néanmoins estimé que les blocages étaient couverts par le droit de réunion, mais a signalé qu’une restriction pourrait passer plus aisément le test de nécessité (voir le chapitre 4.4) pour ce qui est des interférences avec la liberté de réunion :
De l’avis de la Cour, même si, dans le contexte de l’exercice de la liberté de réunion dans les sociétés modernes, des comportements physiques visant délibérément à bloquer la circulation routière et à entraver le bon déroulement de la vie quotidienne dans le but de perturber sérieusement les activités d’autrui ne sont pas rares, ils ne sont pas au cœur de la liberté protégée par l’article 11 de la Convention (…). Ces considérations pourraient avoir des implications sur l’appréciation de la « nécessité » au regard du second point de l’article 11.
Cependant, la Cour estime que le comportement dont les requérants ont fait preuve pendant les manifestations et dont ils ont été tenus pour responsables n’était pas d’une nature ou d’une gravité propres à faire échapper leur participation à ces manifestations au domaine de protection du droit à la liberté de réunion pacifique garanti par l’article 11 de la Convention.[10] Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, points 93 à 98.