La suspension d’une association et sa dissolution forcée figurent parmi les restrictions les plus draconiennes à la liberté d’association. Ces mesures doivent toujours se conformer aux exigences de l’article 22, paragraphe 2, du Pacte. Au vu de la sévérité de ces mesures, elles ne devraient pouvoir être utilisées que lorsqu’il existe une menace claire et imminente pour, par exemple, la sécurité publique nationale,[1] Il convient de noter, par ailleurs, que les buts légitimes susceptibles d’être protégés sont énumérés de façon exhaustive à l’article 22 du PIDCP, à savoir : la sécurité nationale, la sûreté publique, l’ordre public, la protection de la santé ou de la moralité publiques ou des droits et des libertés d’autrui. conformément aux interprétations du droit international des droits de l’homme. Ces mesures doivent être strictement proportionnelles à l’objectif légitime poursuivi et utilisées uniquement lorsque des mesures moins radicales se sont révélées insuffisantes.[2] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 75.
Le Comité des droits de l’homme se livre à une appréciation stricte de la proportionnalité des dissolutions.[3] Belyatsky v. Belarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, point 7.5. Le paragraph 58 des lignes directrices africaines fait sienne cette règle exigeante pour l’évaluation de la proportionnalité d’une mesure, et souligne qu’il ne devrait s’agir que d’une mesure de dernier ressort :
La suspension ou la dissolution d’une association par l’État n’intervient qu’en cas de violation grave de la loi nationale, conformément aux normes régionales et internationales relatives aux droits humains, et ce, en dernier recours.
12.1 Proportionnalité : gravité de la mesure et mesure de dernier ressort
Le Comité des droits de l’homme a souligné les « conséquences particulièrement graves » de la dissolution d’une organisation, et a pris en compte cette gravité dans son appréciation de la proportionnalité d’une mesure restrictive :
Étant donné les conséquences graves de la dissolution de « Viasna » pour l’exercice du droit à la liberté d’association de l’auteur et de ses coauteurs, et étant donné que le fonctionnement d’associations non enregistrées est interdit au Bélarus, le Comité conclut que la dissolution de l’association est une mesure disproportionnée (…).
[4] Belyatsky c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, point 7.5 ; voir également Korneenko c. Belarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/88/D/1274/2004, adoption de vues du 31 octobre 2006, point 7.7.
Le rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique de la Commission africaine affirme que la dissolution ne peut être imposée que s’il existe un danger clair et imminent.[5] ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 24 ; voir également Interights and Others v Mauritania, ComADHP, 4 juin 2004, points 80-84. De la même manière, les lignes directrices conjointes du BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise précisent qu’il doit s’agir toujours d’une mesure de dernier recours :
Une restriction doit toujours être interprétée et appliquée de manière restrictive et ne doit jamais éteindre complètement le droit concerné, ni porter atteinte à son essence. Toute interdiction ou dissolution d’une association doit, en particulier, systématiquement intervenir en dernier ressort, par exemple lorsque le comportement d’une association est source d’une menace imminente de violence ou d’une autre violation grave de la loi, et ne saurait être appliquée pour sanctionner une infraction mineure.
[6] BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, 2015, point 35.
De même, la CEDH a souligné la nature extrême et grave d’une dissolution forcée et a considéré qu’il s’agissait d’une ingérence disproportionnée.[7] Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 8 octobre 2009, point 82 ; Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 30 janvier 1998, points 46, 54 et 61.
12.2 Uniquement par un organe juridictionnel
Compte tenu de la gravité de l’ingérence, la Commission interaméricaine a indiqué que la dissolution d’une association ne pouvait résulter que d’une décision de justice, et non pas de celle d’un organe administratif.
[8] ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders, OEA/Ser/L/V/II Doc. 66, 31 décembre 2011, at point 168 (uniquement disponible en anglais) ; voir également Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, points 75-76. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association soutient pleinement cette position :
Le paragraphe 58 des lignes directrices africaines suit la même approche :
La suspension ne peut avoir lieu que sur ordonnance du tribunal compétent, et la dissolution, à l’issue d’une procédure judiciaire en bonne et due forme et de l’épuisement de toutes les voies de recours possibles. De tels verdicts sont à publier et doivent être fondés sur des critères légaux clairs, conformément aux normes régionales et internationales relatives aux droits humains
[10] ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, points 58. .
La Cour européenne des droits de l’homme a confirmé qu’une fois dissoute (ou si son enregistrement est refusé), l’association conserve le droit de déposer une plainte auprès de la CEDH.[11] Sindicatul « Pastorul cel bun » c. Roumanie, CEDH, arrêt du 9 juillet 2013, point 70. Dans l’affaire Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, la CEDH a indiqué que « [l]e droit consacré par l’article 11 se révélerait éminemment théorique et illusoire s’il ne couvrait que la fondation d’une association, les autorités nationales pouvant aussitôt mettre fin à son existence sans avoir à se conformer à la Convention ».[12] Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 20 janvier 1998, point 33.
Le Comité de la liberté syndicale de l’OIT suit la même logique et indique qu’en raison de la nature extrême de la mesure, la suspension ou la dissolution forcée doit toujours faire l’objet d’un contrôle judiciaire et les droits de la défense de l’association doivent être systématiquement garantis.[13] OIT, Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration du BIT, cinquième édition (révisée), point 699 (2006).
12.3 Non-respect des obligations administratives
Le non-respect des obligations administratives prévues par le droit national ne constitue pas un motif suffisant de dissolution. Le Rapporteur des Nations Unies a précisé que si une association ne respectait pas ses obligations d’information, une telle violation ne devrait pas entraîner sa dissolution forcée, la fermeture de l’association ou des poursuites à l’encontre de ses membres. Au contraire, l’association devrait avoir la possibilité de rectifier la situation.
[14] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 38(e).
Le Comité des droits de l’homme a eu à connaître de plusieurs affaires dans le desquelles l’État avait indûment dissout ou suspendu une association. Dans plusieurs affaires concernant la Biélorussie, le Comité a conclu à des violations du droit à la liberté d’association car l’État avait utilisé arbitrairement ses lois relatives aux associations pour dissoudre ou suspendre des organisations.
Dans l’affaire Korneenko et autres c. Bélarus, l’ONG des requérants avait été dissoute car elle était accusée de ne pas avoir respecté la législation nationale relative aux financements étrangers, d’avoir utilisé du matériel acheté avec des fonds étrangers et d’avoir falsifié ses documents officiels. Le Comité des droits de l’homme a jugé que l’État partie avait violé le droit à la liberté d’association des requérants, car il n’avait pas démontré : (1) que les restrictions imposées à l’utilisation de fonds étrangers étaient nécessaires pour protéger un intérêt légitime de l’État, ou (2) que la dissolution de l’organisation était proportionnelle aux défaillances techniques dans ses tentatives de respecter la législation du pays. [ cliquer ici pour un exposé complet ]

Coup de projecteur :
Korneenko et autres c. Bélarus

Dans l’affaire Korneenko et autres c. Bélarus, le Comité des droits de l’homme a déclaré ce qui suit :
« En l’espèce, la décision de justice tendant à dissoudre « Initiatives civiles » est fondée sur deux types de violations présumées des lois de l’État partie : 1) utilisation de matériel provenant de dons privés à des fins autres que celles prévues, à savoir pour la production de matériel de propagande et l’organisation d’activités de propagande ; et 2) irrégularités dans les documents officiels de l’association. Ces deux catégories de prescriptions légales constituent des restrictions de facto et doivent être évaluées à la lumière des conséquences qui en découlent pour l’auteur et « Initiatives civiles ».Concernant le premier point, le Comité note que l’auteur et l’État partie divergent quant à la question de savoir si « Initiatives civiles » a véritablement utilisé son matériel aux fins citées. Il considère que même si « Initiatives civiles » a utilisé ce matériel, l’État partie n’a pas fourni d’argument expliquant pourquoi il serait nécessaire, au sens du paragraphe 2 de l’article 22, d’interdire l’utilisation de ce matériel « pour la préparation de rassemblements, de réunions, de défilés, de manifestations, de piquets de grève, de grèves, pour la production et la diffusion de matériel de propagande, ainsi que pour l’organisation de séminaires et autres formes d’activités de propagande ».
Concernant le deuxième point, le Comité note que les parties divergent à propos de l’interprétation du droit interne et que l’État partie n’a pas fourni d’argument expliquant laquelle des trois irrégularités dans les documents officiels de l’association motivait l’imposition des restrictions prévues au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Même si les documents d’« Initiatives civiles » n’étaient pas entièrement conformes aux prescriptions de la législation nationale, les autorités de l’État partie ont eu une réaction disproportionnée en prononçant la dissolution de l’association.[15] Viktor Korneenko et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/88/D/1274/2004, adoption de vues du 31 octobre 2006, paras. 7.2-7.4.
Dans l’affaire Belyatsky c. Bélarus, le Comité des droits de l’homme a considéré que la Biélorussie avait violé le droit à la liberté d’association des requérants en ordonnant la dissolution d’une ONG, Viasna pour sa surveillance des élections présidentielles biélorusses de 2001. Viasna avait soulevé des questions concernant la légitimité des élections. L’ONG avait été dissoute par décision de justice peu après pour avoir enfreint les lois électorales en envoyant des observateurs aux réunions de la commission électorale et dans les bureaux de vote, et pour avoir violé la loi relative aux associations publiques en rémunérant des tierces personnes non membres de Viasna pour leurs services en tant qu’observateurs.[16] Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 7 août 2007, points 7.5. Le Comité des droits de l’homme a estimé que la Biélorussie n’avait de nouveau pas démontré que la dissolution de l’organisation poursuivait un but légitime ou était nécessaire ou proportionnel à l’intérêt général invoqué. Le CDH saisi cette occasion pour rappeler à l’État partie « que l’existence et le fonctionnement d’associations, y compris celles qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas nécessairement accueillies favorablement par le gouvernement ou la majorité de la population, sont un des piliers d’une société démocratique »[17] Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 7 août 2007, points 7.3.
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Coup de projecteur :
Belyatsky c. Bélarus

Dans l’affaire
Belyatsky c. Bélarus, le Comité des droits de l’homme avait noté ce qui suit :
Le simple fait qu’il existe des justifications raisonnables et objectives pour limiter le droit à la liberté d’association ne suffit pas. L’État partie doit montrer de plus que l’interdiction d’une association est nécessaire pour écarter un danger réel, et non un danger seulement hypothétique, pour la sécurité ou l’ordre démocratique, et que des mesures moins draconiennes seraient insuffisantes pour atteindre cet objectif.En l’espèce, la décision judiciaire tendant à dissoudre « Viasna » est fondée sur des violations supposées de la loi électorale de l’État partie commises quand l’association surveillait les élections présidentielles de 2001. Cette restriction de fait à la liberté d’association doit être appréciée à la lumière des conséquences qui en découlent pour l’auteur, les coauteurs et l’association.
Le Comité note que l’auteur et l’État partie n’ont pas la même interprétation du paragraphe 2 de l’article 57 du Code de procédure civile et de sa compatibilité avec la lex specialis portant sur le régime applicable aux associations publiques au Bélarus. Il considère que même si les violations de la loi électorale présumées commises par « Viasna » entraient dans la catégorie de la « perpétration répétée de violations flagrantes de la loi », l’État partie n’a pas fait valoir d’argument plausible pour montrer que les motifs qui ont justifié la dissolution de l’association étaient compatibles avec l’un quelconque des critères énoncés au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Comme l’a déclaré la Cour suprême [de la Biélorussie], les violations des lois électorales avaient été constituées par le non‑respect par « Viasna » de la procédure établie d’envoi d’observateurs aux réunions de la commission électorale et dans les bureaux de vote, et l’offre d’une rétribution à des tierces personnes non membres de « Viasna » pour leurs services en tant qu’observateurs (…).[18] Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, point 7.3-7.5.
Dans l’affaire
Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c. Azerbaïdjan, où l’État avait ordonné la dissolution d’une association au motif que cette dernière n’avait pas respecté les règles applicables à la tenue d’une assemblée générale, la CEDH a suivi la même approche. La Cour n’a pas constaté l’existence d’un besoin social impérieux et a donc conclu ce qui suit :
De même, l’avis de la Commission de Venise sur la Biélorussie a précisé que criminaliser les actions liées à l’organisation ou à la gestion d’une association au seul motif que l’association concernée n’a pas été enregistrée par l’État ne remplit pas les critères du test en trois volets qu’il faut passer avec succès pour restreindre le droit à la liberté d’association.[20] Commission de Venise, Avis sur la compatibilité avec les normes universelles des droits de l’homme de l’article 193-1 du code pénal de la République de Bélarus relatif aux droits des associations non enregistrées, 18 octobre 2011, point 113.
12.4 Simples accusations d'une conduite criminelle
12.5 Destruction de la démocratie et incitation à la violence
Les mesures de suspension ou de dissolution peuvent s’avérer proportionnées dans certains cas extrêmes, comme lorsqu’une association incite à la violence ou plaide pour la destruction de la démocratie.
La protection des objectifs des associations qui défendent des idées non favorables au gouvernement est garantie par le droit international (Voir Le droit à la liberté d’association chapitre 8). La CEDH a souligné à plusieurs reprises qu’une association, y compris un parti politique, n’est pas exclue de la protection accordée par la Convention du seul fait que ses activités sont considérées par les autorités nationales comme portant atteinte aux structures constitutionnelles de l’État.[22] Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 30 janvier 1998. Dans l’affaire Refah Partisi c. Turquie, la CEDH a néanmoins précisé qu’un parti politique incitant à la violence ou visant la destruction de l’ordre démocratique ne peut se prévaloir de la protection de la Convention :[23] Voir Refah Partisi (Parti de la prospérité) c. Turquie, CEDH, arrêt du 13 février 2003, points 98 á 100.
Plus récemment, dans l’affaire Vona c. Hongrie, la CEDH a étendu l’application du raisonnement qu’elle avait adopté dans l’affaire Refah Partisi c. Turquie, et a déclaré que les États pouvaient prendre des mesures préventives en vue de protéger la démocratie, y compris vis-à-vis des associations qui ne sont pas des partis politiques. Elle n’a pas conclu à la violation de l’article 11 dans une affaire où l’Association de la Garde hongroise avait été dissoute. L’association avait fondé à son tour le Mouvement de la Garde hongroise. Parmi ses activités, elle organisait des défilés de type militaire avec des uniformes également de type militaire, ainsi que des rassemblements dans les communautés Rom sur le thème de la « criminalité tsigane », avec des participants portant des brassards similaires à ceux portés par les membres des Croix fléchées, un parti nationaliste socialiste de l’époque de la Seconde Guerre mondiale. Évoquant la dissolution de l’association, la CEDH a souligné les mesures concrètes adoptées par le mouvement et a déclaré ce qui suit :
[…] l’État a également le droit de prendre des mesures préventives pour protéger la démocratie face à des entités autres que des partis lorsqu’un préjudice menaçant de manière suffisamment imminente les droits d’autrui risque de saper les valeurs fondamentales sur lesquelles se fonde une société démocratique. […] l’État a le droit de prendre des mesures préventives s’il est établi que pareil mouvement a commencé à adopter des actes concrets dans la vie publique pour mettre en pratique un projet politique incompatible avec les normes de la Convention et la démocratie.
[25] Vona c. Hongrie, CEDH, arrêt du 9 juillet 2013, point 57.
Il importe de noter que les faits spécifiques de cette affaire (notamment la nature paramilitaire de certaines des activités, l’histoire du pays et les effets intimidants sur un groupe ethnique vulnérable) semblent avoir joué un rôle important dans la conclusion de la CEDH. La Cour a reconnu, dans cette affaire, que la menace posée ne pouvait être effectivement écartée qu’en retirant son soutien à l’organisation du mouvement.[26] Vona c. Hongrie, CEDH, arrêt du 9 juillet 2013, points 71-72.
Dans l’affaire Eusko Abertizale Ekintza – Acción Nacionalista Vasca c. Espagne, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu la légitimité de la dissolution du parti en cause en raison de ses liens concrets, bien qu’informels, y compris financiers, avec Euskadi Ta Askatasuna (ETA), une organisation déclarée terroriste en Espagne.[27] Eusko Abertzale Ekintza – Acción Nacionalista Vasca c. Espagne, CEDH, arrêt du 15 janvier 2013, point 73. Disponible en français.
Dans une affaire emblématique, Les Authentiks et Supras Auteuil 91 c. France, la CEDH a conclu que la dissolution d’un club de supporters de football en France ne constituait pas une violation du droit à la liberté d’association. Même si, dans le cadre de cette affaire, les tribunaux nationaux n’avaient établi aucune négligence de la part des associations requérantes concernant les actes de violence commis (qui avaient conduit à des décès), ils avaient néanmoins établi que leur participation aux évènements avaient entraîné des troubles publics de la part de certains des supporters des membres de l’association. De nouveau, il importe de considérer cette affaire dans son contexte spécifique, à savoir une longue période de débordements très violents dans les stades de football pour lesquels plusieurs mesures gouvernementales n’avaient pas eu d’effet. Dans cette situation particulière, la CEDH a reconnu la légitimité du « besoin social impérieux » d’imposer des restrictions drastiques aux groupes de supporters, allant ainsi à l’encontre de l’essence-même de la liberté d’association, afin d’éviter et d’éradiquer le risque pour l’ordre public.[28] Les Authentiks et Supras Auteuil 91 c. France, CEDH, arrêt du 27 octobre 2016, point 83. L’arrêt est disponible uniquement en français. Un résumé en anglais est disponible ici. Considérant la nécessité de la mesure, la Cour a également tenu compte de la nature de l’organisation, à savoir la promotion d’un club de football. La Cour a estimé qu’un tel type d’association était moins nécessaire dans une société démocratique.[29] Les Authentiks et Supras Auteuil 91 c. France, CEDH, arrêt du 27 octobre 2016, point 84.
Même dans les cas où des autorités étatiques décident de dissoudre une association car elles considèrent que cette dernière incite à la violence, un test strict de proportionnalité doit être appliqué.
La ComADHP a clairement confirmé ce principe dans l’affaire Interights et autres c. Mauritanie, où l’Union des Forces Démocratiques-Ère nouvelle (UFD/EN), un parti politique mauritanien, avait été dissoute par le Premier ministre de la République de Mauritanie. Selon l’État, la mesure avait été imposée à la suite « une série d’actes et de conduites dont se sont rendus coupables les responsables de cette formation politique et qui ont : Porté atteinte à l’image de marque et aux intérêts du pays ; Incité des mauritaniens à l’intolérance et à la violence ; et Provoqué des manifestations qui ont pu compromettre l’ordre, la paix et la sécurité publique ».[30] Interights et autres c. Mauritanie, ComADHP, juin 2004, point 3. Néanmoins, la Commission a estimé que la dissolution n’était pas proportionnée à la nature des infractions commises car l’État disposait de toute une série d’autres options envisageables, et a donc constaté une violation du droit à la liberté d’association (article 10, paragraphe 1, de la Charte africaine) :
81. Dans le cas d’espèce, il est évident que la dissolution de l’UFD/EN avait pour but principal d’empêcher les responsables du parti de continuer à se rendre responsables d’actes ou de déclarations ou de prises de positions qui ont, d’après le gouvernement mauritanien, troublé la paix publique et menacé gravement le crédit, la cohésion sociale et l’ordre public dans le pays.82. Toutefois, et sans vouloir substituer son appréciation à celle des autorités mauritaniennes, il apparaît à la Commission africaine que lesdites autorités disposaient d’un éventail de sanctions qui auraient pu ne pas conduire à la dissolution de ce parti. Il semble, en effet, que si l’État Défendeur voulait mettre un terme à la « dérive » verbale de l’UFD/EN et éviter la répétition par le même parti de ces comportements interdits par la loi, l’État Défendeur aurait pu faire usage d’une panoplie de mesures efficaces lui permettant, depuis la première incartade de ce parti politique, de contenir cette « menace grave à l’ordre public ».[31] Interights et autres c. Mauritanie, ComADHP, juin 2004, points 81 á 82.
12.6 Dissolution de fait
On peut affirmer que certaines mesures reviennent à imposer une dissolution de fait.
Le Rapporteur spécial a indiqué, dans un mémoire d’amicus curiae, que les autorisations hâtives, par les autorités gouvernementales, de la nouvelle composition du conseil d’administration d’une association (tout en sachant qu’elle était contestée par le comité de direction et dans un contexte de menaces préalables des autorités de ne pas renouveler l’enregistrement de l’association) avaient eu pour effet la dissolution forcée de l’association en question.[32] Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Amicus Curiae devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, dans l’affaire Laurent Munyandilikirwa c. Rwanda, janvier 2015, point 43. (uniquement disponible en anglais)
De même, on peut affirmer que l’incidence du retrait de la personnalité morale sur une association peut être tellement grave qu’elle équivaut à une dissolution de fait. Souvent, sans personnalité morale, les associations ne peuvent pas effectuer des transactions ou mobiliser des ressources (humaines et financières) au nom de l’association, deux aspects essentiels pour réaliser les objectifs pour lesquels elles ont été fondées.[33] Pour une application spécifique de cet argument, voir le Rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Amicus curiae devant la Cour constitutionnelle de la Bolivie, avril 2015, points 34, 42 et 49. (uniquement disponible en anglais) (Voir Le droit à la liberté d’association chapitre 7)