En fonction du contexte national, l’enregistrement et/ou la personnalité morale peu(ven)t être exigé(e)(s) pour accomplir certaines tâches ou accéder à certains avantages dont les associations pourraient souhaiter bénéficier.
L’enregistrement et l’obtention de la personnalité morale peuvent être (mais ne sont pas nécessairement) la même procédure dans différents systèmes juridiques.[2] Par exemple : dans certains pays les communautés religieuses officiellement reconnues et enregistrées peuvent jouir de certains avantages (par exemple, leurs dirigeants peuvent être rémunérés par l’État). Dans le même temps, ces communautés religieuses n’ont pas nécessairement une personnalité morale en tant que telle. Néanmoins, les règles et les principes appliqués en droit international aux deux procédures sont très similaires. Les arguments ci-dessous sont donc valables dans les deux cas.
Si les associations souhaitent obtenir la personnalité morale, elles devraient être autorisées à le faire. L’acquisition de la personnalité morale peut être importante pour les associations afin de jouir de droits supplémentaires, tels que les aides publiques, de solliciter des ressources et d’embaucher des salariés. La personnalité morale permet aussi aux associations de répondre à certains besoins, tels que la tenue de comptes bancaires, la signature de contrat ou la propriété ou la location de biens immobiliers.
Le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a confirmé que le droit à la personnalité morale constituait un aspect essentiel de la liberté d’association, et a appelé les États à garantir et à faciliter son acquisition par les associations.[3] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 57 ; voir également Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Amicus curiae before the Constitutional Court of Bolivia, 30 avril 2015, point 22. (uniquement disponible en anglais)
La CEDH a systématiquement soutenu que les associations devaient être en mesure d’obtenir la personnalité morale si elles le souhaitaient :
La Commission interaméricaine souscrit à la même logique,[5] ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser/L/V/II Doc. 66, 31 décembre 2011, point 172. (uniquement disponible en anglais) tout comme les lignes directrices de la Commission africaine.[6] ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, point 12; ComADHP, Projet de lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 22 septembre 2016, point 12.
Au vu du rôle essentiel que la personnalité morale peut jouer pour permettre aux associations de poursuivre leurs objectifs et de mener leurs activités de manière efficace, les États qui refusent d’enregistrer les associations (ou qui imposent des conditions arbitraires ou onéreuses) peuvent s’avérer faire entrave à la liberté d’association. Comme l’a déclaré la CEDH :
En général, les États ont recours à deux types de régimes en matière d’enregistrement/de reconnaissance de la personnalité morale d’une association : (i) la notification et (ii) l’autorisation préalable.
Les régimes de la notification offrent un niveau de protection plus élevé de la liberté d’association, et sont considérés comme les meilleures pratiques par les experts juridiques internationaux, y notamment le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association. Dans le cadre du régime de la notification, la personnalité morale d’une association ne dépend pas de l’autorisation de l’État ; les associations acquièrent automatiquement la personnalité morale lorsqu’elles notifient aux autorités leur constitution.[8] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 58(e).
Les États qui imposent le régime de l’autorisation préalable ne reconnaissent ou n’accordent la personnalité morale qu’aux associations qui ont déposé une demande et obtenu l’autorisation de l’État.[9] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 61. Si les États exigent une autorisation, ils doivent veiller à éviter les conditions arbitraires ou les longs délais pour leur obtention. Le Rapporteur spécial a ainsi appelé les États à suivre les meilleures pratiques pour permettre à la procédure d’être simple, non onéreuse et rapide.[10] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 57.
La ComIDH a noté que les États étaient tenus de garantir que les lois et les règlements en la matière soient clairs et sans ambiguïté, et que l’organisme chargé de l’enregistrement ne se réserve pas le droit d’interpréter les dispositions d’une façon susceptible de limiter la liberté d’expression.[11] ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser/L/V/II Doc. 66, 31 décembre 2011, point 172. (uniquement disponible en anglais) La CEDH accepte le recours à certaines procédures formelles, mais suit la même logique. En pratique, la CEDH apprécie systématiquement si les exigences de procédure, ainsi que les délais et les pouvoirs excessivement discrétionnaires, violent le droit à la liberté d’association.[12] Voir Koretskyy c. Ukraine, CEDH, arrêt du 3 avril 2008, point 48 et points 53 à 55. (uniquement disponible en anglais)
En général, les règles internationales affichent une nette préférence pour la notification, au lieu de l’autorisation. Les lignes directrices de la ComADHP déclarent ce qui suit :
La déclaration relève du régime de notification et non d’autorisation, ce qui laisse présumer l’obtention du statut juridique dès réception de la notification. La procédure de déclaration est normalement simple, claire, non discriminatoire, ni fastidieuse, une formalité ne revêtant pas de caractère discrétionnaire.
[13] ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, point 13 ; ComADHP, Projet de lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 22 septembre 2016, point 13.
Le Rapporteur spécial a souligné que durant la période d’attente de la décision d’autorisation, les associations devraient être réputées opérer légalement.[14] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 60. Les lignes directrices conjointes sur la liberté d’association du BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise reflètent, elles aussi, cette présomption de légalité :
Il convient de présumer de la légalité de la constitution des associations, ainsi que de la légalité de leur création, de leurs objectifs, de leurs actes constitutifs, de leurs buts, de leurs intentions et de leurs activités. Cela signifie que, sauf preuve contraire, l’État doit présumer qu’une association donnée a été constituée de manière légale et adéquate et que ses activités sont légales. Toute mesure à l’encontre d’une association et/ou de ses membres ne peut être prise que si les articles de son instrument fondateur (y compris les actes constitutifs, les statuts et les règlements) sont manifestement illégaux, ou lorsque des activités illégales précises ont été entreprises.
Il convient de veiller au respect de cette présomption même lorsque la législation prévoit qu’un certain nombre d’exigences, telles que des formalités d’enregistrement, doivent être satisfaites pour la création d’une association. Il est cependant important de rappeler qu’une association non enregistrée peut également bénéficier de la protection conférée par l’article 22 du PIDCP et l’article 11 de la CEDH, ainsi que par d’autres instruments internationaux et régionaux qui réaffirment cette liberté.[15] BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, 2015, points 68 á 69.
Les associations ont le droit de s’enregistrer et de constituer une personnalité morale afin d’atteindre leurs objectifs. Lorsqu’un État refuse l’enregistrement d’une association ou la personnalité morale à cette dernière, il doit se conformer au test en trois volets pour restreindre le droit à la liberté d’association.
Dans un arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que le fait, pour les autorités, de ne pas répondre à une demande d’enregistrement dans les délais légaux impartis revient, de facto, à refuser l’enregistrement. En général, selon la CEDH, un retard important dans la procédure d’enregistrement imputable aux autorités constitue une ingérence dans le droit à la liberté d’association.[16] Ismayilov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 17 janvier 2008, point 48 (uniquement disponible en anglais) : « des retards importants dans la procédure d’enregistrement, si imputables au Ministre de la justice, constituent une ingérence dans l’exercice du droit d’association des fondateurs de l’association ».
Les tribunaux ont fait valoir que l’incidence sur l’association (et notamment sur sa capacité à poursuivre l’exercice de ses activités) était un facteur clé pour déterminer si les États poursuivaient un but légitime. Dans d’autres affaires, une distinction a été opérée entre le simple soupçon d’illégalité et des actions concrètes qui sont contraires à la loi. Dans plusieurs espèces, les tribunaux n’ont pas retenu l’existence d’une violation de la liberté d’association lorsque l’association concernée aurait pu se conformer aisément aux exigences en matière d’enregistrement et/ou aurait pu poursuivre ses activités malgré le refus d’enregistrement de l’État.
La CEDH a déclaré que les États ne sauraient refuser d’enregistrer ou de reconnaître une association au motif qu’elle était financée par des « étrangers » ou qu’il s’agissait d’une filiale d’une association internationale.[17] Branche de Moscou de l’Armée du salut c. Russie, CEDH, arrêt du 5 octobre 2006, point 86 ; voir également, Partidul Comunistilor Nepeceristi et Ungureanu c. Roumanie, CEDH, arrêt du 2 février 2005, point 49.
L’incidence sur l’association
Dans plusieurs affaires de premier plan, l’incidence du refus sur l’association a été un élément essentiel pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du droit.
Dans l’affaire Romanovsky c. Bélarus, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a conclu que l’incidence du refus d’enregistrement était grave dans la mesure où il signifiait, en vertu de la législation du Bélarus, que le fonctionnement de l’association était illégal. L’affaire concernait un groupe de retraités qui, à la suite d’un rassemblement, avaient décidé de fonder et d’enregistrer une organisation. Le ministre de la justice avait rejeté leur demande au motif que le rassemblement était illégal et que toutes les décisions adoptées dans son cadre étaient juridiquement nulles. Le Comité des droits de l’homme a considéré que l’État partie n’avait donné aucun argument pour expliquer pourquoi le refus d’enregistrer l’association était nécessaire ou proportionné, soulignant son incidence grave :
Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’enregistrement de l’association a été refusé sur la base d’un certain nombre de motifs exposés par l’État partie, qui doivent être appréciés à la lumière des conséquences en découlant pour l’auteur et son association. Le Comité note également que même si les motifs exposés sont prévus dans la loi pertinente, comme il ressort des documents dont il dispose, l’État partie n’a pas avancé d’arguments montrant en quoi le refus était nécessaire dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui, ni même pourquoi le refus d’enregistrer l’association était une réponse proportionnée aux circonstances. Le Comité note en outre que, dans les décisions des autorités nationales qui ont été communiquées, les autorités, en particulier la Cour suprême, n’ont pas exposé les raisons pour lesquelles il était nécessaire de restreindre le droit de l’auteur à la liberté d’association, conformément au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte.
Le Comité fait observer que le refus d’enregistrement a eu pour conséquence directe de rendre illégal le fonctionnement de l’association sur le territoire de l’État partie et d’empêcher l’auteur d’exercer son droit à la liberté d’association.[18] Romanovsky c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/115/D/2011/2010, adoption de vues du 29 octobre 2015, points 7.3 à 7.5.
De même, dans l’affaire Parti présidentiel de la Mordovie c. Russie, la CEDH a retenu la violation de l’article 11 en raison de l’incidence du refus sur le requérant. Dans le cadre de l’espèce, un parti politique régional avait tenté de renouveler son enregistrement, conformément à une nouvelle loi. La demande avait été rejetée pour des motifs litigieux. Environ trois ans plus tard, la Cour suprême russe a jugé que le parti pouvait être réenregistré. Néanmoins, la loi avait de nouveau changé, empêchant ainsi le parti de participer aux élections régionales. Compte tenu de cette incidence et du préjudice irréparable causé, la CEDH a conclu à l’existence d’une violation de l’article 11 :
dans la mesure où [le requérant] n’a pas pu fonctionner pendant une période considérable et n’a pas pu participer aux élections régionales. En outre, le préjudice causé semble irréparable étant donné que, en vertu de la législation actuellement en vigueur, le parti ne peut pas être reconstitué sous sa forme originale.
[19] Parti présidentiel de la Mordovie c. Russie, CEDH, arrêt du 5 octobre 2004, point 31. (uniquement disponible en anglais)
Dans l’affaire Mouvement pour un Royaume démocratique c. Bulgarie, la ComEDH a considéré que le refus d’enregistrer l’association ne constituait pas une violation de la liberté d’association, car l’association en question pouvait toujours participer à des activités politiques. L’incidence de la restriction ne s’était donc pas avérée disproportionnée :
La Commission rappelle sa jurisprudence selon laquelle le refus des autorités d’enregistrer une association n’implique pas nécessairement une ingérence dans ses droits au sens de l’article 11 (art. 11) de la Convention, si l’association demeure néanmoins libre de poursuivre ses activités (…). La Commission observe qu’une association non enregistrée, telle que celle de la requérante en l’espèce, est autorisée par la loi à participer à des « activités politiques », mais ne peut participer à des élections.
[20] Mouvement pour un Royaume démocratique c. Bulgarie, ComEDH, arrêt du 29 novembre 1995. (uniquement disponible en anglais)
Le soupçon d’intentions ne suffit pas
Le simple soupçon que les véritables intentions ou activités d’une association puissent être illégales ne suffit pas à justifier le refus d’enregistrer ou d’accorder la personnalité morale à une association.
Dans l’affaire emblématique Sidiropoulos c. Grèce, la CEDH a considéré que le refus par les tribunaux grecs d’enregistrer l’association des requérants sur la base de soupçons quant aux véritables intentions des fondateurs de l’association était disproportionné. L’objet de l’association était légitime et clair, à savoir préserver et développer les traditions et la culture folklorique de la région de Florina. La CEDH a ajouté que si les activités avaient soulevé des questions de légalité, elles auraient dû être traitées en temps voulu et non par un refus préventif d’enregistrement :[21] Sidiropoulos et autres c. Grèce, CEDH, arrêt du 10 juillet 1998, point 46.
l’association, une fois fondée, aurait pu, sous le couvert des buts mentionnés dans ses statuts, se livrer à des activités inconciliables avec ceux-ci. Toutefois, une telle éventualité, (…) à supposer qu’elle fût confirmée, les autorités ne se trouveraient pourtant pas désarmées : en vertu de l’article 105 du code civil, le tribunal de grande instance pourrait ordonner la dissolution de l’association si elle poursuivait par la suite un but différent de celui fixé par les statuts ou si son fonctionnement s’avérait contraire à la loi, aux bonnes mœurs ou à l’ordre public.
[22] Sidiropoulos et autres c. Grèce, CEDH, arrêt du 10 juillet 1998, point 46.
Plus récemment, dans l’affaire Association des victimes des juges roumains et autres c. Roumanie, la CEDH a conclu, de manière similaire, que les simples soupçons d’illégalité concernant les buts ou les activités ne sauraient motiver un refus d’enregistrement.
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Coup de projecteur :
Association des victimes des juges roumains et autres c. Roumanie

L’affaire concernait des personnes physiques qui souhaitaient créer une association pour promouvoir les intérêts de ceux qui s’estimaient victimes du système judiciaire roumain ; l’association entendait avoir recours à des moyens légaux pour rendre publiques de prétendues injustices, irrégularités ou illégalités, y compris par des actes de protestation légaux.
Les tribunaux nationaux roumains avaient jugé que le refus d’enregistrement était légitime, car le but de l’association allait à l’encontre de la Constitution roumaine (les principes d’un État régi par l’État de droit).
La CEDH a conclu ce qui suit :
« Seules des raisons convaincantes et impérieuses sauraient justifier les restrictions à la liberté d’association. Toutes ces restrictions sont soumises à un contrôle rigoureux (…). En conséquence, pour déterminer l’existence d’une nécessité au sens de l’article 11, paragraphe 2, les États ne disposent que d’une marge d’appréciation limitée, qui va de pair avec un contrôle européen rigoureux, couvrant aussi bien la législation que les décisions qui l’appliquent, y compris celles prononcées par des tribunaux indépendants (…).
La Cour estime que les affirmations des tribunaux nationaux se fondaient sur des simples soupçons concernant les véritables intentions des fondateurs de l’association et sur les activités que cette dernière aurait pu mener une fois en fonctionnement (…).
En outre, la Cour observe que le droit intérieur prévoit la possibilité de dissoudre une association s’il est établi que ses buts sont contraires à l’ordre public ou que ses actes sont contraires aux dispositions de ses articles (…).
Au vu de ce qui précède, la Cour considère que les raisons invoquées par les autorités pour refuser d’enregistrer l’association requérante n’ont pas été dictées par un « besoin social impérieux », et qu’elles n’étaient ni convaincantes ni pressantes. Par ailleurs, une mesure aussi radicale que le refus d’enregistrement, adoptée avant-même que l’association n’ait commencé à fonctionner, semble disproportionnée par rapport au but poursuivi.[23] Association des victimes des juges roumains et autres c. Roumanie, CEDH, arrêt du 14 janvier 2014, points 25, 30, 32, 34. (uniquement disponible en anglais)
La Cour a considéré que le refus d’enregistrer l’Association des victimes des juges roumains se fondait sur de simples soupçons selon lesquels les véritables intentions des fondateurs de l’association visaient à saper l’autorité du pouvoir judiciaire du pays. La CEDH a conclu que le droit à la liberté d’association avait été violé dans la mesure où le refus n’était pas fondé sur l’illégalité réelle des buts de l’association.
La capacité à respecter les exigences
Dans les cas où les requérants auraient pu prendre des mesures raisonnables pour modifier leurs demandes, la CEDH (et avant elle la Commission européenne) a considéré que la procédure d’enregistrement n’était pas excessivement contraignante et n’a donc pas conclu à la violation de la liberté d’association lorsque l’État n’a pas enregistré l’organisation.
L’affaire Mouvement pour un Royaume démocratique c. Bulgarie concernait un parti politique dont la demande d’enregistrement avait été rejetée car sa requête initiale n’était pas conforme aux critères prévus par la législation et que le requérant n’avait pas respecté les instructions des tribunaux lui demandant de rectifier les irrégularités. Les tribunaux bulgares avaient indiqué que des amendements devaient être adoptées lors d’une assemblée générale de l’association, que les requérants n’avaient pas convoquée.
La ComEDH a considéré que le refus d’enregistrer l’association n’était pas une violation de l’article 11, car : (i) l’association pouvait toujours participer à des activités politiques et (ii) elle aurait pu se conformer à la demande de convoquer une assemblée générale :
En outre, la Commission observe que le requérant pouvait, à tout moment, rectifier les omissions de procédure en convoquant une assemblée générale en vue de modifier ses statuts. Cette exigence formelle n’était ni arbitraire, ni un obstacle onéreux.
De plus, la possibilité pour le requérant de soumettre une nouvelle demande d’enregistrement, une fois les exigences pertinentes prévues par la loi respectées, demeurait ouverte.
En conséquence, la Commission estime que le refus des tribunaux bulgares de la demande d’enregistrement du requérant en l’espèce ne constitue pas une ingérence dans ses droits prévus à l’article 11 (article 11) de la Convention.[24] Mouvement pour un Royaume démocratique c. Bulgarie, ComEDH, arrêt du 29 novembre 1995.
Dans l’affaire Gorzelik et autres c. Pologne, la CEDH a conclu qu’en l’espèce, la législation nationale polonaise prévoyait que le moment approprié pour intervenir était effectivement celui de l’enregistrement et que l’État n’avait pas agi en se fondant sur de simples soupçons.
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Coup de projecteur :
Gorzelik et autres c. Pologne

Dans l’affaire
Gorzelik et autres c. Pologne, la CEDH n’a pas conclu à la violation de l’article 11. La Cour a fait droit à l’argumentation développé par l’État selon laquelle il avait dû agir au moment de l’enregistrement et que, ce faisant, il n’était pas intervenu se fondant sur de simples soupçons.
94. L’ingérence dans la jouissance par les requérants de leur liberté d’association qui en est ainsi résultée était principalement motivée par le souci de couper court à l’intention qu’on leur prêtait de revendiquer des privilèges spéciaux au titre de la loi de 1993 sur les élections, en particulier une dispense de l’obligation d’atteindre le seuil de 5 % des suffrages normalement requis pour obtenir des sièges au Parlement et des avantages concernant l’enregistrement des listes électorales. Les requérants soutiennent quant à eux que la restriction dénoncée était prématurée et que les autorités ont pris leurs décisions sur la base de soupçons infondés quant aux véritables intentions qu’ils nourrissaient et de spéculations concernant les activités auxquelles ils se livreraient à l’avenir. Ils soulignent que la présentation de candidats à des élections n’était pas l’un des buts déclarés dans les statuts de leur association (…).
102. La Cour partira donc de l’idée (…) le risque que l’association et ses membres revendiquent des privilèges électoraux était inhérent à toute décision qui les autoriserait à constituer l’association sans qu’ils modifient au préalable l’article 30 des statuts.
103. Dans ces conditions, le moment opportun pour écarter le risque de voir se concrétiser les conséquences négatives envisagées et pour mettre ainsi à l’abri d’atteintes les droits d’autres personnes ou entités participant aux élections législatives était celui de l’enregistrement de l’association et non un moment ultérieur. En réalité, en imposant comme condition à l’enregistrement la suppression, à l’article 30 des statuts de l’association, de la mention d’une « organisation d’une minorité nationale », les tribunaux n’ont fait qu’exercer légitimement leur pouvoir de contrôler la légalité des statuts de l’association, y compris celui de refuser toute disposition ambiguë ou trompeuse susceptible d’aboutir à un abus de droit (…).
105. Toutefois, le degré d’ingérence autorisé par le paragraphe 2 de l’article 11 ne saurait être considéré dans l’abstrait, mais doit être apprécié dans le contexte particulier de l’affaire. Il n’a en aucun cas constitué un déni de l’identité ethnique et culturelle distinctive des Silésiens ou méconnu le but premier de l’association, qui était « d’éveiller et de renforcer la conscience nationale des Silésiens ».[25] Gorzelik c. Pologne, CEDH, arrêt du 17 février 2004, point 97 et points 102 à 105.
L’affaire concernait le refus des autorités polonaises d’enregistrer une association dénommée « Organisation de la minorité nationale silésienne » et dont le but principal était de renforcer la conscience nationale des Silésiens. En vertu de la législation polonaise, une association reconnue comme une minorité nationale (tel que mentionné dans la dénomination et les documents de constitution de l’association) susciterait automatiquement des privilèges en ce qui concerne le élections. En conséquence, le risque que l’enregistrement soit utilisé pour acquérir un statut particulier en vertu de la loi électorale se poserait automatiquement avec l’enregistrement de l’association. Dans le cas d’espèce, la CEDH a conclu qu’il n’y avait pas eu de violation de l’article 11. Le moment d’agir pour l’État était celui de l’enregistrement. Par ailleurs, les requérants auraient pu modifier les statuts de l’organisation pour en supprimer les dispositions posant problème concernant les ambitions électorales, et ce faisant, elles auraient pu continuer de mener leurs activités culturelles et autres.