De manière générale, toute restriction à la liberté d’association par un État doit être prévue par la loi, nécessaire et proportionnée par rapport à un but légitime. Les différents instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’homme qui garantissent la liberté d’association ont en commun le recours à une terminologie et à une jurisprudence similaires. Il existe donc une approche de plus en plus commune en la matière, à l’échelle mondiale.
Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a expliqué le champ d’application de l’article 22, paragraphe 2 [sur les restrictions] dans l’affaire Belyatsky c. Bélarus. Il a précisé que toute restriction à la liberté d’association devait satisfaire aux trois conditions suivantes : (1) elle doit être prévue par la loi ; (2) la loi ne peut être imposée que pour protéger la sécurité nationale, la sûreté publique, l’ordre public ou la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui, et enfin (3) elle doit être « nécessaire dans une société démocratique ».[1] Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, points 7.3. Le Comité des droits de l’homme a indiqué que la protection conférée par l’article 22 s’étendait à toutes les activités d’une association.[2] Korneenko, et autres c. Biélorussie, Comité des droits de l’homme, CCPR/C/88/D/1274/2004, adoption de vues du 31 octobre 2006. Le cadre juridique et la jurisprudence de la CADHP, de la CIDH et de la CEDH indiquent également que les restrictions à la liberté d’association doivent passer avec succès le même test en trois volets susvisé.[3] Convention européenne des droits de l’homme, article 11 ; CADHP, article 16 ; voir également Koretskyy c. Ukraine, CEDH, 3 avril 2008, point 43 (uniquement disponible en anglais); Gorzelik c. Pologne, CEDH, 17 février 2004, point 53 ; Sidiropoulos et autres c. Grèce, CEDH, arrêt du 10 juillet 1998, point 32 ; Escher et autres c. Brésil (objections préliminaires, fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 6 juillet 2009, point 173 (uniquement disponible en anglais). Civil Liberties Organisation (pour le compte du Nigerian Bar Association) c. Nigéria, Comm. n° 101/93, CafDHP, arrêt du 22 mars 1995 ; ComADHP, Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion, 2017, point 24 ; ComADHP, Note explicative de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur les Lignes directrices sur la liberté d’association telles qu’applicables à la société civile et lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique 4 (2016) ; ComADHP, Projet de lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 22 septembre 2016. On observe seulement de légères variations dans la terminologie employée dans les conventions et tous les organismes compétents ont adopté le test de la proportionnalité stricte. [Lien vers la proportionnalité]
La Charte africaine déclare que la liberté d’association s’exerce :
(…) sous la seule réserve des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d’autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes.
[4] CADHP, article 11.
De même, la Convention américaine relative aux droits de l’homme n’énonce que l’exercice du droit à la liberté d’association :
(…) ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui, prévues par la loi, sont nécessaires dans une société démocratique dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits ou les libertés d’autrui.
[5] CADH, article 16, paragraphe 2. (uniquement disponible en anglais)
La Convention européenne des droits de l’homme, quant à elle, prévoit que l’exercice du droit à la liberté d’association ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui,
prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
[6] Convention européenne des droits de l’homme, article 11.
En tout état de cause, lorsqu’un État impose une restriction, c’est sur lui que pèse la charge de la preuve pour établir que ladite restriction a passé avec succès le test en trois volets.[7] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Doc. des Nations Unies CCPR/C/115/D/2011/2010, adoption de vues du 29 octobre 2015, point 7.3.
6.1. Prévue par la loi
Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a expliqué que, pour satisfaire à l’exigence selon laquelle une restriction doit être « prévue par la loi », elle doit être « libellée avec suffisamment de précision pour permettre à un individu d’adapter son comportement en fonction de la règle [53] Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, points 7.3. Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, points 7.3. et elle doit être accessible pour le public ».[8] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 34 : Article 19 (Liberté d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 25.
En outre, pour satisfaire à cette condition, « (l)a loi elle-même doit fixer les conditions dans lesquelles les droits peuvent être limités ».[9] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 27 : Article 12 (liberté de circulation), Doc. des Nations Unies CCPR/C/21/Rev.1/Add.9 (1999), point 12. Pour respecter ce principe de légalité, les lois ne doivent pas utiliser de définitions vagues, imprécises ou trop larges pour exposer les motifs retenus pour justifier des restrictions à la liberté d’association.[10] ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser/L/V/II Doc. 66, 31 décembre 2011, point 65. (uniquement disponible en anglais) Enfin, les lois ne peuvent pas conférer des pouvoirs illimités aux personnes chargées de veiller à leur application.[11] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 34 : Article 19 (Liberté d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 25.
Les cours africaine, interaméricaine et européenne ont toutes confirmé cette approche dans leurs arrêts.[12] Voir Tanganyika Law Society, Legal and Human Rights Centre et Révérend Christopher R. Mtikila c. République-Unie de Tanzanie, CafDHP, arrêt du 14 juin 2013 ; Kimel c. Argentine (fond, réparation et dépens). CIDH, arrêt du 2 mai 2008, point 63 (uniquement disponible en anglais); Uson Ramirez c. Venezuela (objection préliminaire, fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 20 novembre 2009, point 56 (uniquement disponible en anglais); Koretskyy c. Ukraine, CEDH, arrêt du 3 avril 2008, point 47. (uniquement disponible en anglais)
Des éclaircissements supplémentaires ont parfois été apportés :
(1) Sur l’instrument – la loi
La CIDH a considéré que, dans le contexte des restrictions légitimes aux droits, le terme de « loi » faisait référence à :
Les restrictions à la liberté d’association ne peuvent donc être imposées par un décret gouvernemental ou administratif,[14] ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II, Doc. 66, 31 décembre 2011, point 165. (uniquement disponible en anglais) sauf si le pouvoir d’émettre ledit décret se fonde lui-même sur une loi satisfaisant aux conditions susmentionnées. La CIDH souligne que toute délégation de ce type doit être autorisée par la Constitution, que l’organe exécutif doit respecter les limites de ses pouvoirs délégués, et qu’elle doit faire l’objet de contrôles effectifs.[15] CIDH, Le vocable « Lois » dans l’article 30 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, Avis consultatif OC-6/86, 9 mai 1986, point 36. (uniquement disponible en anglais)
La CafDHP a expliqué que ces lois devaient être des lois d’application générale.[16] Tanganyika Law Society, Legal and Human Rights Centre et Révérend Christopher R. Mtikila c. République-Unie de Tanzanie, CafDHP, arrêt du 14 juin 2013, points 107.1, 112-113.
La CEDH adopte une approche quelque peu différente. Elle prend le terme « loi » dans son sens « substantif », et pas nécessairement dans son sens formel. Ainsi, la CEDH inclut à la fois « le droit écrit », comprenant aussi bien des textes de rang infralégislatif que des actes réglementaires pris par un ordre professionnel, par délégation du législateur, dans le cadre de son pouvoir normatif autonome, et le « droit non écrit ». Selon la CEDH, la « loi » doit se comprendre comme englobant le texte écrit et le « droit élaboré par les juges ».[17] Gülcü c. Turquie, CEDH, arrêt du 19 janvier 2016, point 104. (uniquement disponible en anglais) Références à d’autres affaires dont la CEDH a eu à connaître.
Néanmoins, le principe 9 des lignes directrices conjointes sur la liberté d’association du BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise énonce que la loi en question doit également être adoptée dans le cadre d’un processus démocratique, qui garantit la participation et l’examen du public et qui doit être largement accessible.[18] BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, 2015, point 34 (principe 9).
Dans les Lignes directrices sur la règlementation des partis politiques, le BIDDH/OSCE et la Commission de Venise précisent encore que toute restriction à la liberté d’association doit se fonder sur une disposition constitutionnelle ou législative et non pas sur un règlement d’application et doit être également conforme aux instruments internationaux pertinents.[19] BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices sur la règlementation des partis politiques, 19 mai 2011, point 49. (uniquement disponible en anglais)
(2) Sur la prévisibilité et l’accessibilité
Divers instruments confirment le principe selon lequel, dans la mesure où les gens doivent adapter leur comportement en fonction des lois, l’incidence des lois doit être « prévisible ». Ce principe est souvent lié à la question de l’accessibilité des lois.
Dans son rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, la Commission africaine a précisé que l’expression « prévu par la loi » signifiait que la « loi doit être accessible, et formulée de manière claire et suffisamment précise pour permettre aux individus d’adapter leur comportement ».[20] ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, point 20.
La CEDH a souvent rappelé que la condition « prévue par la loi » ne signifiait pas uniquement qu’une restriction devait avoir une base en droit interne, mais également qu’elle devait satisfaire aux exigences de base d’accessibilité, de spécificité et de prévisibilité :
La Cour rappelle que les mots « prévues par la loi » figurant aux articles 8 à 11 de la Convention veulent d’abord que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qualité de la loi en question. La loi doit être accessible pour les personnes concernées, et elle doit être énoncée avec suffisamment de précision pour leur permettre (en s’entourant au besoin de conseils éclairés) de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences qui peuvent découler d’un acte déterminé.
[21] Maestri c. Italie, CEDH, arrêt du 17 février 2004, point 41. Références à de nombreuses autres affaires.
Les lois comportant une restriction doivent être adoptées en vue de l’intérêt général et conformément au but pour lequel elles ont été mises en place. En outre, les États ne doivent pas promouvoir de lois et de politiques contenant des « définitions vagues, imprécises et trop larges ».[22] ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser/L/V/II Doc. 66, 31 décembre 2011, point 165. (uniquement disponible en anglais)
(3) Sur le caractère vague et le pouvoir discrétionnaire
La CEDH a systématiquement appliqué le principe inscrit dans l’Observation générale n° 34 du Comité des droits de l’homme,[23] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 34 : Article 19 (Liberté d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 25. selon lequel l’expression « prévue par la loi » signifie que la loi doit être libellée avec suffisamment de précision et ne pas conférer aux personnes chargées de son application un pouvoir illimité de décider de la restriction :
Pour répondre à ces exigences, le droit interne doit offrir une certaine protection contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention. Lorsqu’il s’agit de questions touchant aux droits fondamentaux, la loi irait à l’encontre de la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique consacrés par la Convention, si le pouvoir d’appréciation accordé à l’exécutif ne connaissait pas de limites. En conséquence, elle doit définir l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir avec une netteté suffisante. …
[24] Maestri c. Italie, CEDH, arrêt du 17 février 2004, point 41. Références à de nombreuses autres affaires.
6.2. Un but légitime
Les États ne sont en droit d’imposer des restrictions à la liberté d’association que pour atteindre un nombre limité de buts légitimes. Il s’agit de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques et de protéger les droits et les libertés d’autrui.[25] Article 22, paragraphe 2 du PIDCP ; article 16, paragraphe 2 de la CADH ; article 11, paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (qui utilise les expressions « défense de l’ordre » et « prévention du crime » au lieu « d’ordre public »). Lorsqu’un État partie invoque un but légitime en tant que motif pour restreindre le droit d’association, il doit démontrer la nature précise de la menace,[26] Voir, par exemple, M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.3. et donner notamment une définition précise de ladite menace.
Notions essentielles
Dans l’Observation générale n° 34, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a apporté des éclaircissements sur les notions essentielles permettant de décrire les buts légitimes. L’ordre public a trait à l’ensemble des règles qui garantissent le fonctionnement pacifique et efficace de la société, alors que la sécurité nationale concerne l’indépendance politique et/ou l’intégrité territoriale de l’État. [27] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 34 : Article 19 (Liberté d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 33. Dans un rapport conjoint, le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements des Nations Unies ont précisé que « (l)’intérêt national, politique ou gouvernemental et la sécurité publique ou l’ordre public ne sont pas synonymes ».[28] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, 4 février 2016, Doc. des Nations Unies A/HRC/31/66, point 31.
Concernant la moralité publique, le Comité observe que son contenu peut considérablement varier d’une société à l’autre. Néanmoins, il précise que la notion de moralité ne saurait découler exclusivement d’une tradition unique.[29] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 34 : Article 19 (Liberté d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 33. De même, la CEDH a fait valoir à maintes reprises que la démocratie ne signifiait pas simplement que les points de vue de la majorité (ou de la collectivité) devaient l’emporter. Un juste traitement des minorités doit être assuré et il faut éviter, en général, tout abus de positions dominantes.[30] Voir Young, James et Webster c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 13 août 1981, point 63. Par ailleurs, les intérêts économiques en tant que tels ne font pas partie des intérêts énumérés.[31] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Doc. des Nations Unies A/HRC/32/36, 10 août 2016, point 33.
Évoquant la lutte contre le terrorisme, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme a souligné que les gouvernements ne devaient pas utiliser ces buts/objectifs comme un paravent pour cacher le véritable but des limitations, comme pour justifier des mesures visant à supprimer l’opposition ou soumettre sa population à des pratiques répressives.[32] Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, Martin Scheinin, Doc. des Nations Unies A/61/267, 16 août 2006, point 20 ; voir également Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 21 ; ComIDH, Second Report on the situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II doc. 66, 31 décembre 2011, point 167. (uniquement disponible en anglais)
Le besoin de précision
Partout dans le monde, on observe une tendance à la hausse, de la part des États, à abuser des intérêts légitimes susvisés pour restreindre les droits de l’homme, en fondant, par exemple, leurs mesures restrictives sur des interprétations larges des intérêts légitimes ou sur une terminologie vaguement liée à ces derniers. Concernant la sécurité nationale, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression a mis notamment en garde vis-à-vis de
Les arguments avancés doivent donc être précis ; ils ne peuvent être invoqués in abstracto ou en citant des risques imprécis et généraux,[34] Alekseev c. Fédération de Russie, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/109/D/1873/2009, adoption de vues du 25 octobre 2013, point 9.6. (L’État a fait valoir que le but de la manifestation susciterait une réaction négative et qu’elle risquait de conduire à des troubles de l’ordre public. Le Comité a conclu qu’un « […] risque imprécis et général de contre‑manifestation violente ou la simple possibilité que les autorités ne soient pas en mesure de prévenir ou de neutraliser cette violence ne constitue pas un motif suffisant pour interdire une manifestation »). Voir également M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.3. mais doivent être individualisés et[35] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 34 : Article 19 (Liberté d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 33. utilisés dans un cas particulier[36] Schumilin c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/105/D/1784/2008, adoption de vues du 23 juillet 2012, point 9.4. (le Comité avait considéré que la restriction en cause violait le PIDCP car l’État partie n’avait pas expliqué « comment dans ce cas précis les actes de l’auteur avaient concrètement porté atteinte aux droits ou à la réputation d’autrui, ou constitué une menace pour la sécurité nationale, l’ordre public ou la santé ou la moralité publiques »). ou selon une justification spécifique.[37] Kim c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, CCPR/C/64/D/574/1994, adoption de vues du 4 janvier 1999, point 12.5. Les restrictions à la liberté d’association fondées sur des préoccupations de sécurité nationale doivent par exemple avoir trait à des risques spécifiques posés par l’association. Il ne suffit pas que l’État fasse allusion, de manière générale, à la situation sécuritaire dans une zone donnée.[38] Voir Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP) c. Turquie, CEDH, arrêt du 8 décembre 1999, points 44 à 48 ; Parti Nationaliste Basque-Organisation Régionale D’Iparralde c. France, CEDH, 7 juin 2007, point 47. Le Comité des droits de l’homme a considéré, à plusieurs reprises, qu’il y avait eu violation au simple motif qu’aucune information pertinente ou aucune information du tout n’avait été donnée par l’État pour justifier l’un des intérêts légitimes invoqués.[39] Kovalenko c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/108/D/1808/2008, adoption de vues du 17 juillet 2013, point 6. « (E)n l’absence d’explications utiles de la part de l’État partie, les restrictions à l’exercice du droit de l’auteur d’obtenir des informations détenues par des organismes publics ne peuvent pas être réputées nécessaires à la sauvegarde de la sécurité nationale ou de l’ordre public ou au respect des droits et de la réputation d’autrui. Le Comité conclut par conséquent que les droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte ont en l’espèce été violés (…) ». Voir également Nurbek Toktakunov c. Kirghizistan, Comité des droits de l’homme, CCPR/C/101/D1470/2006, adoption de vues du 28 mars 2011, points 7.7 et V. Evrezov et autres c. Bélarus, Doc. des Nations Unies CCPR/C/112/D/1999/2010, adoption de vues du 10 octobre 2014, points 8.7 à 8.8.
Sécurité nationale et terrorisme – Éviter les abus
Le recours à des mesures de lutte contre le terrorisme en vue de restreindre la liberté d’association n’a cessé d’augmenter dans le cadre des discussions afférentes à la sécurité nationale et publique.
Tout en reconnaissant que la lutte contre le terrorisme constituait un but légitime, les experts juridiques internationaux ont souligné que cet objectif avait aussi été utilisé à mauvais escient comme prétexte pour limiter de façon illégitime la liberté d’association.[40] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 21. Le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a noté que si les États se doivent de lutter contre le terrorisme,
(c)ette lutte ne doit jamais être invoquée pour porter atteinte à la crédibilité de l’association concernée, ni pour entraver indument ses activités légitimes. Pour empêcher les organisations terroristes d’utiliser abusivement les associations, les États devraient recourir à d’autres moyens, par exemple leur législation bancaire et leurs lois antiterroristes. À cet égard, les organismes des Nations Unies, notamment ceux qui sont chargés de la lutte contre le terrorisme, ont un rôle clef à jouer et sont moralement responsables de veiller à ce que les réglementations antiterroristes et contre le blanchiment de capitaux ne portent pas atteinte aux droits de l’homme en général, et à la liberté d’association en particulier.
[41] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 70.
Le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme a souligné que les gouvernements ne devaient pas utiliser ces buts/objectifs comme un paravent pour cacher le véritable but des limitations, comme pour justifier des mesures visant à supprimer l’opposition ou soumettre sa population à des pratiques répressives.[42] Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, Martin Scheinin, Doc. des Nations Unies A/61/267, 16 août 2006, point 20 ; voir également Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 21. Voir aussi, dans le même sens, ComIDH, Second Report on the situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II doc. 66, 31 décembre 2011, point 167. (uniquement disponible en anglais) Le Rapporteur spécial a indiqué dans un rapport à l’Assemblée générale que « les États ne devraient pas avoir besoin de recourir à des mesures dérogeant aux droits à la liberté de rassemblement et d’association [et que les] mesures limitant ces droits prévues par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques [étaient] suffisantes pour lutter de façon efficace contre le terrorisme ».[43] Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, Martin Scheinin, Doc. des Nations Unies A/61/267, 16 août 2006, point 53.
Le Comité des droits de l’homme du PIDCP a reconnu ce qui précède dans le cadre de son analyse d’une loi russe, « Lutte contre les activités extrémistes », expliquant craindre que « la définition de “ l’activité extrémiste ” (…) ne soit trop vague pour protéger les personnes et les associations contre une application arbitraire ».[44] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 40 du Pacte (Observations finales du Comité des droits de l’homme : Fédération de Russie), Doc. des Nations Unies CCPR/CO/79/RUS, 1 décembre 2003, point 20. S’agissant du but légitime constitué par la sécurité nationale, le Comité a également précisé que l’État devait démontrer la nature précise de la menace,[45] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 34 : Article 19 (Liberté d’opinion et liberté d’expression), Doc. des Nations Unies CCPR/C/GC/34 (2011), point 33. ainsi que le fait que les restrictions « sont véritablement nécessaires pour écarter un danger réel, et non pas seulement hypothétique, pour la sécurité nationale et l’ordre démocratique ».[46] M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.2 ; depuis, le Comité a confirmé une telle position dans Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, 24 juillet 2007, point 7.3.
La ComIDH a affirmé, quant à elle, ce qui suit :
Dans le cas des organisations consacrées à la défense des droits de l’homme, lorsque l’on invoque la sécurité nationale, il n’est pas légitime d’avoir recours à la législation en matière de sécurité ou de lutte contre le terrorisme pour supprimer les activités visant à promouvoir et à protéger les droits de l’homme. La notion de société civile doit être comprise par les États en des termes démocratiques, de sorte que les organisations dédiées à la défense des droits de l’homme ne fassent pas l’objet de restrictions déraisonnables ou discriminatoires.
[47] ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser.L/V/II, Doc. 66, 31 décembre 2011, point 167. (uniquement disponible en anglais)
But légitime et mesures de surveillance
Dans l’affaire Escher et autres c. Brésil, la CIDH a clairement indiqué que les associations devaient être protégées vis-à-vis des mesures de surveillance, soulignant que ces mesures constituaient une restriction à la liberté d’association. De telles mesures ne peuvent donc être mises en œuvre que lorsque cela s’avère strictement nécessaire, afin de protéger la démocratie et sous réserve que les garanties requises aient été mises en place pour éviter tout abus susceptible d’en découler. Dans l’affaire susvisée, la CIDH a conclu que la surveillance avait été utilisée de manière abusive pour contrôler les activités de l’association concernée :
[L]es forces de sécurité de l’État peuvent être amenées à effectuer des opérations de renseignements autorisées par la loi pour lutter contre la criminalité et protéger l’ordre constitutionnel (…) ces actions sont légitimes lorsqu’elles constituent des mesures strictement nécessaires pour protéger les institutions démocratiques, et sous réserve qu’il existe des garanties adéquates pour prévenir les abus.
[48] Escher et autres c. Brésil, CIDH, arrêt du 6 juillet 2009. (uniquement disponible en anglais)
De même, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme a souligné les risques spécifiques pour la liberté d’association posés par le recours à la surveillance :
6.3. Nécessaire dans une société démocratique
La liberté d’association « est la condition d’une société civile active et d’une vraie démocratie ».[50] Assemblée générale des Nations Unies, Rapport de la Représentante spéciale du Secrétaire général chargée d’étudier la question des défenseurs des droits de l’homme, Hina Jilani, Doc. des Nations Unies A/59/401, points 46 à 47. De même, les associations sont un mécanisme essentiel dans le cadre duquel les citoyens participent au processus démocratique.[51] Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 8 octobre 2009, point 53. Outre le fait qu’il s’agit d’un droit en tant que tel, la liberté d’association est aussi un droit permettant l’exercice d’autres droits et dont l’existence « est nécessaire pour la démocratie » dont il est « partie intégrante ».[52] ComADHP, Rapport du Groupe d’étude sur la liberté d’association et de réunion en Afrique, 2014, p. 15, point15. Aussi, toute limitation à ce droit doit s’avérer nécessaire dans une démocratie, à savoir, répondre à un besoin social pressant et être proportionnée.
Besoin social impérieux
Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a précisé que l’État devait démontrer que les restrictions imposées au droit étaient véritablement nécessaires pour écarter un danger réel, et non pas seulement hypothétique. [53] Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, points 7.3. Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, points 7.3. « Le simple fait qu’il existe des justifications raisonnables et objectives pour limiter le droit la liberté d’association ne suffit pas ».[54] M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.2. En d’autres termes, la mesure adoptée par l’État doit répondre à un besoin impérieux, et elle doit constituer l’option la moins draconienne (en termes de portée, de durée et d’applicabilité) dont les autorités publiques disposent pour satisfaire ce besoin.[55] M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.2.
La Cour africaine, tout comme la CEDH et la CIDH, adopte la même approche :
Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association cite les lignes directrices de l’OSCE pour préciser que la définition de ce qui est nécessaire car constitutif d’un « besoin impérieux » ne peut être interprétée au sens large et être considérée comme l’équivalent de la notion d’« utile » ou de « pratique ». En outre, il ne saurait y avoir de société démocratique sans tolérance, pluralisme et ouverture d’esprit :
Comme l’a souligné l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), le terme « nécessité » ne signifie pas « absolument nécessaire » ou « indispensable », mais il n’a pas non plus la souplesse de termes ou expressions tels que « utile » ou « pratique » : il signifie en revanche que l’intervention doit répondre à un « besoin social impérieux ». Lorsqu’un tel besoin social surgit, les États doivent faire en sorte que toute mesure restrictive reste dans les limites de ce qui est acceptable dans une « société démocratique ». À cet égard, la jurisprudence établie de longue date fait valoir qu’il n’y a pas de société démocratique sans « le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture ». Les États ne peuvent donc pas mettre en péril l’existence même de ces attributs lorsqu’ils imposent des restrictions à ces droits.
[57] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Premier rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/20/27, 21 mai 2012, point 17.
En effet, « [n]écessaire dans une société démocratique » signifie également que la restriction ne doit pas porter atteinte aux valeurs démocratiques du pluralisme, de l’ouverture d’esprit et de la tolérance.[58] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Report of the Special Rapporteur on the rights to freedom of peaceful assembly and of association, Country report Rwanda, A/HRC/26/29/Add.2, 14 avril 2014, point 86(a) ; voir également, Manfred Nowak, UN Covenant on Civil and Political Rights: CCPR Commentary, Article 22, paragraphe 21, p. 394 (1993). La pluralité, en tant que caractéristique essentielle des sociétés démocratiques, est également affirmée par le Comité des droits de l’homme :
(L)’existence et le fonctionnement d’une pluralité d’associations, y compris d’associations qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas accueillies favorablement par le gouvernement ou la majorité de la population, constituent l’un des fondements d’une société démocratique.
[59] M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.2 ; Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, point 7.3 ; Korneenko, et autres c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, CCPR/C/88/D/1274/2004, adoption de vues du 31 octobre 2006, point 7.3.
La CafDHP, la CEDH et la CIDH ont toutes souligné, de manière similaire, l’importance des voix d’opposition pour le bon fonctionnement de la démocratie.[60] Manuel Cepeda Vargas c. Colombie (objections préliminaires, fond, réparation et dépens), CIDH, arrêt du 26 mai 2010, point 173 (uniquement disponible en anglais) ; Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 8 octobre 2009, point 53. (« Une interaction harmonieuse entre personnes et groupes ayant des identités différentes est essentielle à la cohésion sociale. Il est tout naturel, lorsqu’une société civile fonctionne correctement, que les citoyens participent dans une large mesure au processus démocratique par le biais d’associations au sein desquelles ils peuvent se rassembler avec d’autres et poursuivre de concert des buts communs ») ; Handyside c. Royaume-Uni, CEDH, arrêt du 7 décembre 1976, point 49 ; Tanganyika Law Society, Legal and Human Rights Centre et Révérend Christopher R. Mtikila c. République-Unie de Tanzanie, CafDHP, arrêt du 14 juin 2013.
Le Comité des droits de l’homme a appliqué ces principes dans l’affaire Lee c. République de Corée, et a constaté une violation de l’article 22, car l’État partie n’avait pas démontré la menace spécifique pour sa sécurité nationale et l’ordre démocratique qui aurait justifié l’interdiction d’une organisation et la sanction pénale de ses membre. [ cliquer ici pour un exposé complet ]

Coup de projecteur :
Lee c. Republique de Corée

Dans ses allégations, la République de Corée a justifié la condamnation en invoquant la nécessité de protéger sa sécurité nationale et son ordre démocratique. Le Comité des droits de l’homme a estimé qu’il y avait eu violation du droit à la liberté d’association :
7.2 (…) «Enfin, le Comité doit déterminer si la condamnation de l’auteur pour son appartenance au Hanchongnyeon a représenté une restriction déraisonnable de sa liberté d’association, et par conséquent une violation de l’article 22 du Pacte. Le Comité note que, conformément au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte, toute restriction du droit à la liberté d’association, pour être valable, doit satisfaire cumulativement aux conditions suivantes : a) elle doit être prévue par la loi ; b) elle ne peut viser que l’un des buts énoncés au paragraphe 2 ; et c) elle doit être « nécessaire dans une société démocratique » pour la réalisation de l’un de ces buts. La référence à une « société démocratique » indique, de l’avis du Comité, que l’existence et le fonctionnement d’une pluralité d’associations, y compris d’associations qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas accueillies favorablement par le gouvernement ou la majorité de la population, constituent l’un des fondements d’une société démocratique. Il n’est donc pas suffisant qu’il y ait une justification raisonnable et objective quelconque pour limiter la liberté d’association. L’État partie doit démontrer aussi que l’interdiction de l’association et l’engagement de poursuites pénales contre des particuliers pour leur adhésion à cette association sont véritablement nécessaires pour écarter un danger réel, et non pas seulement hypothétique, pour la sécurité nationale et l’ordre démocratique et que des mesures moins draconiennes seraient insuffisantes pour atteindre cet objectif.
7.3 L’auteur a été condamné sur la base des paragraphes 1 et 3 de l’article 7 de la loi sur la sécurité nationale. La question déterminante à examiner est donc de savoir si cette mesure était nécessaire pour la réalisation d’un des buts énoncés au paragraphe 2 de l’article 22. Le Comité note que l’État partie a invoqué la nécessité de protéger la sécurité nationale et l’ordre démocratique du pays contre la menace que représente la République populaire démocratique de Corée. L’État partie n’a cependant pas précisé la nature de la menace que constituerait l’adhésion de l’auteur au Hanchongnyeon. Le Comité relève que la décision de la Cour suprême de la République de Corée, déclarant en 1997 que cette association était un « groupement agissant dans l’intérêt de l’ennemi », s’appuyait sur le paragraphe 1 de l’article 7 de la loi sur la sécurité nationale qui interdit tout soutien à des associations qui « risquent » de mettre en danger l’existence et la sûreté de l’État ou son ordre démocratique. Il relève aussi que l’État partie et ses tribunaux n’ont pas montré qu’il était nécessaire de sanctionner pénalement l’auteur pour son appartenance au Hanchongnyeon, en particulier après qu’il a fait sienne la « Déclaration commune Nord Sud du 15 juin » (2000), pour écarter un danger réel pesant sur la sécurité nationale et l’ordre démocratique de la République de Corée. Le Comité considère donc que l’État partie n’a pas démontré que la condamnation de l’auteur était nécessaire à la protection de la sécurité nationale ni à aucune autre des fins énoncées au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Il conclut que la restriction du droit de l’auteur à la liberté d’association était incompatible avec les dispositions du paragraphe 2 de l’article 22, et violait donc le paragraphe 1 de l’article 22, du Pacte ». [62] M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005.
Dans le cadre de ladite espèce, il était question de la condamnation d’un étudiant, M. Joeng Eun Lee, en vertu de la loi sur la sécurité nationale de la Corée du Sud, en raison de son appartenance à Hanchongnyeon. Hanchongnyeon était un syndicat étudiant interdit par la Cour suprême de la République de Corée en vertu de la même loi sur la sécurité nationale au motif que ses objectifs semblaient s’aligner sur ceux du gouvernement de la Corée du Nord, de sorte qu’ils constituaient une menace pour la sécurité nationale du pays et l’ordre démocratique. Le Comité a conclu que l’État ne n’avait pas démontré que sa condamnation était nécessaire pour protéger la sécurité nationale, car il n’avait pas établi qu’il était nécessaire d’écarter un danger réel :
Proportionnalité
Pour satisfaire à l’exigence selon laquelle les restrictions ne peuvent être imposées que si elles sont « nécessaires dans une société démocratique », celles-ci doivent également être proportionnées, c’est-à-dire qu’« elles doivent être appropriées pour remplir leurs fonctions de protection, elles doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché et elles doivent être proportionnées à l’intérêt à protéger ».[63] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale n° 27 : Article 12 (liberté de circulation), Doc. des Nations Unies CCPR/C/21/Rev.1/Add.9, point 14.
La proportionnalité devrait être évaluée en fonction de plusieurs facteurs dont :
Selon la même règle, la CEDH a jugé systématiquement que les restrictions vagues et potentiellement applicables à un nombre anormalement élevé de parties, et qui imposent des exigences onéreuses et pesantes aux associations, sont disproportionnées par rapport aux objectifs que l’État est censé poursuivre. En outre, les mesures qui infligent des sanctions punitives excessivement sévères aux associations qui ne respectent pas des formalités juridiques au demeurant raisonnables sont susceptibles d’être disproportionnées.[65] Voir Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Sabir Israfilov c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 8 octobre 2009, point 63. De même, des mesures drastiques, telles que la dissolution d’une ONG ou l’interdiction faite à cette dernière de mener à bien son activité principale, ne peuvent être considérées comme proportionnées que dans des cas extrêmes, par exemple lorsqu’une association incite à la violence ou appelle à la destruction de la démocratie.[66] Voir Refah Partisi (Parti de la prospérité) c. Turquie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 13 février 2003, points 98 á 100.
La CafDHP applique la même règle, tout en précisant que l’analyse de la proportionnalité repose sur une appréciation des « exigences de l’intérêt général » à l’origine de l’ingérence et de la nature de cette dernière.[67] Tanganyika Law Society, Legal and Human Rights Centre et Révérend Christopher R. Mtikila c. République-Unie de Tanzanie, CafDHP, arrêt du 14 juin 2013, point 106.4.
La ComIDH et la CIDH appliquent, elles aussi, la même règle de proportionnalité et ont établi la pratique de vérifier (dans le cadre du test de proportionnalité) s’il existe effectivement une relation entre le but protégé invoqué et la mesure réelle. Dans l’affaire Escher et autres c. Brésil, la Cour a constaté une violation de la liberté d’association dans la mesure où les mesures de surveillance en cause n’avaient pas servi, dans les faits, le but proclamé d’une enquête pénale. Elle a déclaré ce qui suit :
Bien que l’État affirme que l’interception des communications n’allait pas à l’encontre de la liberté d’association, car elle poursuivait un but légitime (enquêter sur un délit), au vu des pièces du dossier, il n’a pas été démontré que les buts déclarés par les autorités policières dans le cadre de leur demande d’interception téléphonique, à savoir l’enquête sur le décès d’un membre de COANA et le prétendu détournement de fonds publics, étaient vraiment ceux recherchés. […] La Cour note également que dans les résumés des enregistrements, aucun des segments soulignés par les autorités policières n’a de rapport avec l’objectif d’enquête indiqué dans la demande d’interception.
[68] Escher et autres c. Brésil, CIDH, arrêt du 6 juillet 2009, points 174 et 176. (uniquement disponible en anglais)
6.4. Le contrôle particulier
Plus l’incidence de la restriction pour une société démocratique est grande, plus il est nécessaire de préciser les circonstances particulières requiérant ces restrictions au droit. La proportionnalité nécessite donc un contrôle particulier dans les cas où une association est susceptible d’être interdite ou dissoute (Voir Le droit à la liberté d’association chapitre 12). De même, la jurisprudence a indiqué que les restrictions imposées à des associations qui sont essentielles pour une société démocratique, comme les défenseurs des droits de l’homme ou les partis politiques, doivent être particulièrement examinées.
Les mesures d’interdiction ou de dissolution devraient être prises en dernier recours et uniquement utilisées dans les cas de transgressions graves ; elles ne devraient jamais servir à régler des infractions mineures.[69] BIDDH/OSCE et Commission de Venise, Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, 2015, point 114. La ComADHP a confirmé ce principe dans l’affaire Interights et autres c. Mauritanie, dans le cadre de laquelle l’Union des Forces Démocratiques-Ère nouvelle (UFD/EN), un parti politique mauritanien, avait été dissoute par le Premier ministre de la République de Mauritanie. Selon l’État, la mesure avait été imposée à la suite « une série d’actes et de conduites dont se sont rendus coupables les responsables de cette formation politique et qui ont : Porté atteinte à l’image de marque et aux intérêts du pays ; Incité des mauritaniens à l’intolérance et à la violence ; et Provoqué des manifestations qui ont pu compromettre l’ordre, la paix et la sécurité publique ».[70] Interights et autres c. Mauritanie, ComADHP, juin 2004, point 3. Néanmoins, la Commission a estimé que la dissolution n’était pas proportionnée à la nature des infractions commises car l’État disposait de toute une série d’autres options envisageables, et a donc constaté une violation du droit à la liberté d’association (article 10, paragraphe 1, de la Charte africaine) :
81. Dans le cas d’espèce, il est évident que la dissolution de l’UFD/EN avait pour but principal d’empêcher les responsables du parti de continuer à se rendre responsables d’actes ou de déclarations ou de prises de positions qui ont, d’après le gouvernement mauritanien, troublé la paix publique et menacé gravement le crédit, la cohésion sociale et l’ordre public dans le pays.
82. Toutefois, et sans vouloir substituer son appréciation à celle des autorités mauritaniennes, il apparaît à la Commission africaine que lesdites autorités disposaient d’un éventail de sanctions qui auraient pu ne pas conduire à la dissolution de ce parti. Il semble, en effet, que si l’État Défendeur voulait mettre un terme à la « dérive » verbale de l’UFD/EN et éviter la répétition par le même parti de ces comportements interdits par la loi, l’État Défendeur aurait pu faire usage d’une panoplie de mesures efficaces lui permettant, depuis la première incartade de ce parti politique, de contenir cette « menace grave à l’ordre public ».[71] Interights et autres c. Mauritanie, ComADHP, juin 2004, points 81 á 82.
La ComADHP a reconnu que le harcèlement et la persécution à l’encontre des salariés d’une organisation de défense des droits de l’homme constituait une violation du droit à la liberté d’association.[72] Huri c. Nigéria, ComADHP, Communication du 23 octobre-6 novembre 2000, points 47 á 48.