Le test en trois volets (voir la section 4.4) ne s’applique pas uniquement aux restrictions imposées à une réunion avant ou pendant la tenue de l’évènement, mais aussi à celles (telles que les sanctions) infligées par la suite.
Dans l’affaire Praded c. Bélarus, par exemple, l’auteur de la communication s’était vu imposer une amende administrative concernant un acte de protestation non autorisé à l’ambassade iranienne. Le Comité des droits de l’homme avait considéré que la proportionnalité de ladite amende devait être établie :
Le point de départ est le fait que l’imposition de toute sanction (même mineure) constitue une restriction du droit et nécessite ainsi une justification claire. Selon une jurisprudence constante de la CEDH, même les sanctions se situant vers le bas de l’échelle des peines disciplinaires ne devraient être imposées aux participants à un rassemblement qui n’a pas été interdit, sauf si le défendeur a commis, personnellement, un « acte répréhensible » :
[L]a liberté de participer à une réunion pacifique revêt une telle importance qu’une personne ne peut faire l’objet d’une quelconque sanction – même une sanction se situant vers le bas de l’échelle des peines disciplinaires – pour avoir participé à une manifestation non prohibée, dans la mesure où l’intéressé ne commet par lui-même, à cette occasion, aucun acte répréhensible.
[2] Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 149 ; voir également Ezelin c. France, CEDH, arrêt du 26 avril 1991, point 53 ; Galstyan c. Arménie, CEDH, arrêt du 15 novembre 2007, point 115. (uniquement disponible en anglais)
Parmi les actes que la CEDH a considéré comme répréhensibles figurent le fait de lancer des pierres à la police,[3] Gülcü c. Turquie, CEDH, arrêt du 19 janvier 2016, point 116. (uniquement disponible en anglais). l’incitation à la violence inter-ethnique[4] Osmani et autres c. ex-République yougoslave de Macédoine, CEDH, décision du 11 octobre 2001. et les dommages matériels.[5] Taranenko c. Russie, CEDH, arrêt du 15 mai 2014, point 92. (uniquement disponible en anglais) Le fait de ne pas désavouer un rassemblement à l’occasion duquel des tiers se sont adonnés à de tels comportements ne constitue pas un acte répréhensible.[6] Ezelin c. France, CEDH, arrêt du 26 avril 1991, point 53. La CEDH a récemment jugé que le blocage des autoroutes importantes au mépris des ordres policiers pouvait également être considéré comme un acte répréhensible.[7] Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 174. Le Rapporteur spécial des Nations Unies a exprimé ses regrets face à cette dernière décision.[8] Rapporteur spécial des Nations Unies et Human Rights Centre de l’Université de Gand, Third Party Intervention before the European Court of Human Rights in Mahammad Majidli v. Azerbaijan (no. 3) and three other applications, novembre 2015, point 15. (uniquement disponible en anglais).
S’il existe des motifs pour infliger une sanction, la CEDH vérifie si la nature (pénale ou administrative) et la sévérité desdites sanctions sont justifiées :
La Cour a prévenu que même dans le cas où elles ne seraient pas infligées en pratique, les amendes d’un montant élevé « sont propices à la création d’un “ effet paralysant ” sur le recours légitime aux manifestations ».[10] Novikova et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 26 avril 2016, point 211. (uniquement disponible en anglais)
Il existe une préoccupation grandissante concernant la pénalisation des personnes qui exercent leur droit de réunion ; cette préoccupation est exprimée, entre autres, par le Rapporteur spécial des Nations Unies.[11] Rapporteur spécial des Nations Unies et Human Rights Centre de l’Université de Gand, Third Party Intervention before the European Court of Human Rights in Mahammad Majidli v. Azerbaijan (no. 3) and three other applications, novembre 2015, points14 à 16. (uniquement disponible en anglais). La « pénalisation » a trait aux mesures administratives ou pénales adoptées pour sanctionner les participants ou les organisateurs de rassemblements.[12] Rapporteur spécial des Nations Unies et Human Rights Centre de l’Université de Gand, Third Party Intervention before the European Court of Human Rights in Mahammad Majidli v. Azerbaijan (no. 3) and three other applications, novembre 2015, point 14 ; (uniquement disponible en anglais)voir également ComIDH, Report on the Criminalization of the Work of Human Rights Defenders, OEA/Ser.L/V/II, Doc.49/15, 31 décembre 2015, point 12. (uniquement disponible en anglais)
Plusieurs tribunaux et mécanismes internationaux ont établi clairement que l’imposition de sanctions pénales ou administratives aux organisateurs de rassemblements pacifiques ou à leurs participants appelait une vigilance particulière. En principe, il ne devrait pas exister de menaces de sanction en cas de participation à un rassemblement. Cela est d’autant plus vrai pour l’imposition de peines d’emprisonnement.
La position de la CEDH sur la question est la suivante :
Lorsque les sanctions infligées sont de nature pénale, elles appellent une justification particulière. Une manifestation pacifique ne doit pas, en principe, faire l’objet d’une menace de sanction pénale, notamment d’une privation de liberté. Ainsi, la Cour doit examiner avec un soin particulier les affaires où les sanctions infligées par les autorités nationales pour des comportements non violents impliquent une peine d’emprisonnement.
[13] Kudrevičius et autres c. Lituanie, CEDH, Grande Chambre, arrêt du 15 octobre 2015, point 146 (références omises) ; voir également Akgöl et Göl c. Turquie, CEDH, arrêt du 17 mai 2011, point 43 ; Pekaslan et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 20 mars 2012, point 81 ; (uniquement disponible en anglais); Yılmaz Yıldız et autres c. Turquie, CEDH, arrêt du 14 octobre 2014, point 46. (uniquement disponible en anglais).
La CEDH a noté que dans le cadre de certains systèmes juridiques, le droit administratif est utilisé pour sanctionner des infractions de nature pénale. Lorsque les sanctions infligées sont punitives et de nature dissuasive, et notamment dans les cas où les personnes sont privées de leur liberté, même pendant une courte durée, la Cour classe ces mesures comme « relevant du droit pénal », même si elles sont considérées comme des sanctions administratives par le droit national.[14] Voir, par exemple, Kasparov et autres c. Russie, CEDH, arrêt du 3 octobre 2013, points 41 à 45. (uniquement disponible en anglais).
La ComIDH a publié un rapport exhaustif concernant la « Pénalisation du travail des défenseurs des droits de l’homme » (« Criminalization of the Work of Human Rights Defenders »), dans lequel elle exprime son inquiétude au sujet du recours excessif au droit pénal dans plusieurs contextes, comme en réponse à des actes de protestation. En particulier, dans le rapport, on fait état de
préoccupations concernant l’existence de dispositions qui traitent comme des délits pénaux les simples actes de participation à une protestation, les barrages routiers (à tout moment et quel qu’en soit le type), des perturbations qui, en réalité, en tant que telles, n’affectent pas de façon négative des droits protégés par la loi tels que le droit à la vie, le droit à la sécurité ou le droit à la liberté des personnes.
[15] ComIDH, Report on the Criminalization of the Work of Human Rights Defenders, OEA/Ser.L/V/II, Doc.49/15, 31 décembre 2015, point 127. (uniquement disponible en anglais) Voir également ComIDH, Annual Report of the Office of the Special Rapporteur for Freedom of Expression 2008, OEA/Ser.L/V/II.134 Doc.5, Doc.5 rev. 1, 25 février 2009, chapitre IV, point 70. (uniquement disponible en anglais).