10.1 Une association est-elle en droit d’accéder aux ressources ?
Le droit à la liberté d’association comprend le droit de mobiliser des ressources, y compris des ressources humaines et financières.
Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a expliqué que le droit à la liberté d’association comprenait la capacité de solliciter et de recevoir, de sources nationales, étrangères et internationales, et d’utiliser, des ressources, humaines, matérielles et financières.[1] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 8(e).
Le terme « ressources » englobe à la fois les transferts financiers (donations, dons, contrats, parrainages, investissements sociaux, etc.), les garanties de prêts et autres formes d’aide financière accordée par des personnes physiques ou juridiques, les donations en nature (biens, services, logiciels et autres formes de propriété intellectuelle, biens immobiliers, etc.), les ressources matérielles (fournitures de bureau, matériel informatique, etc.), les ressources humaines (personnel rémunéré, bénévoles, etc.), l’accès à l’aide internationale, la solidarité, la possibilité de voyager et de communiquer sans ingérence indue et le droit de bénéficier de la protection de l’État.[2] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 10.
10.2 Les associations peuvent accéder aux ressources financières en général
Le droit d’accéder au financement est une composante directe et essentielle du droit à la liberté d’association, comme l’ont confirmé plusieurs sources aux niveaux régional et international.
Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a consacré un rapport spécifique à l’accès aux ressources et a conclu que la capacité à accéder aux financements et aux ressources était une composante intégrante et essentielle du droit à la liberté d’association,[3] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 8. expliquant à ce propos :
Pour exister et fonctionner efficacement, toute association, aussi petite soit-elle, doit pouvoir solliciter, recevoir et utiliser des ressources. La liberté d’association inclut non seulement la capacité pour des personnes ou des entités juridiques de constituer une association et d’y adhérer mais aussi celle de solliciter et de recevoir, de sources nationales, étrangères et internationales, et d’utiliser, des ressources, humaines, matérielles et financières.
[4] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 8.
Nombreuses sont les associations, notamment celles fondées dans le but de défendre les droits de l’homme, qui fonctionnent sous la forme d’entités « à but non lucratif » et qui dépendent donc quasiment exclusivement de sources extérieures de financement pour mener à bien leurs activités. Par conséquent, le fait de restreindre excessivement les ressources dont disposent les associations « a des répercussions sur l’exercice du droit à la liberté d’association et porte atteinte aux droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux dans leur ensemble ».[5] Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Deuxième rapport thématique du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. des Nations Unies A/HRC/23/39, 24 avril 2013, point 9.
De la même manière, le Comité des droits de l’homme s’est régulièrement inquiété des restrictions au financement, en tant qu’entrave à la pleine réalisation du droit à la liberté d’association. Après analyse de la législation égyptienne, qui exigeait des ONG percevant des financements étrangers de s’enregistrer auprès du gouvernement, le Comité a par exemple déclaré ce qui suit :
Dans l’affaire Ramazanova c. Azerbaïdjan, la CEDH a considéré que des mesures de l’État qui entravaient l’accès d’une ONG au financement étaient susceptibles de porter atteinte au droit à la liberté d’association, soulignant ainsi que l’accès aux ressources faisait partie intégrante de la liberté d’association. La Cour a fait valoir ce qui suit :
Même en supposant que, théoriquement, l’association avait le droit d’exister dans l’attente de son enregistrement par l’État, le droit intérieur a effectivement restreint la capacité de l’association à fonctionner correctement sans personnalité morale. Elle ne pouvait, entre autres, percevoir de « subventions » ou de dons financiers, qui constituaient l’une des principales sources de financement des organisations non gouvernementales en Azerbaïdjan. Privée d’un financement approprié, l’association ne pouvait donc pas participer à des activités caritatives, lesquelles étaient sa principale raison d’être.
[7] Ramazanova c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 1er février 2007, point 59. (uniquement disponible en anglais)
Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, la Cour et la Commission interaméricaines des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme ont tous reconnu que la restriction de l’accès aux financements étrangers pouvait constituer une violation du droit à la liberté d’association, consacrant ainsi le principe selon lequel l’accès aux ressources fait partie intégrante du droit à la liberté d’association.
10.3 Les associations sont en droit d’accéder à des financements étrangers
Le droit international a toujours considéré que le droit à la liberté d’association comprenait l’accès aux financements étrangers et que les limitations à un tel accès pouvaient constituer des violations dudit droit.
Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a indiqué que les législations égyptienne[8] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observations finales du Comité des droits de l’homme : Égypte, Doc. des Nations Unies CCPR/CO/76/EGY, 28 novembre 2002, point 21. et éthiopienne, qui restreignent les financements étrangers, devaient être révisées. La législation éthiopienne interdisait aux ONG du pays de percevoir plus de 10 % de leur budget en provenance de donneurs étrangers[9] Au mois de mai 2017, la loi susvisée était encore en vigueur en Éthiopie. . La loi en question interdisait également les ONG considérées par le gouvernement comme « étrangères » de participer à des activités de défense des droits de l’homme et de la démocratie :
Les systèmes européen[11] Ramazanova c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 1er février 2007, point 59. (uniquement disponible en anglais) et interaméricain de protection des droits de l’homme ont eux aussi considéré que la restriction de l’accès aux financements étrangers était susceptible de porter atteinte au droit à la liberté d’association d’une ONG.[12] Ramazanova c. Azerbaïdjan, CEDH, arrêt du 1er février 2007, point 59. (uniquement disponible en anglais) La ComIDH a indiqué ce qui suit :
La Commission interaméricaine a aussi considéré que les restrictions apportées à la perception de « financements internationaux pour défendre les droits politiques » n’étaient pas autorisées par le droit international.[14] ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser/L/V/II Doc. 66, 31 décembre 2011, point 185 (uniquement disponible en anglais) (notant qu’une « situation autre que celle qui vient d’être décrite serait celle dans laquelle une organisation faisait du prosélytisme au nom d’un certain parti politique ou d’un candidat à un poste en particulier. Dans un tel cas de figure, l’activité ne bénéficierait pas de la protection de la règle susvisée »).
Les institutions internationales ont souligné et reconnu particulièrement le droit des associations de protection des droits de l’homme à accéder à des financements étrangers. La Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’homme indique ce qui suit :
Chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de solliciter, recevoir et utiliser des ressources dans le but exprès de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales par des moyens pacifiques, conformément à l’article 3 de la présente Déclaratio
n.
[15] Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, Doc. des Nations Unies A.G. Rés. 53/144, 9 décembre 1998, article 13 (dans ce cadre, les États sont censés adopter une législation facilitant, au lieu d’empêcher, la sollicitation, la perception et l’utilisation de ressources.)
La Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies chargée d’étudier la question des défenseurs des droits de l’homme a également indiqué que :
La résolution 22/6 du Conseil des droits de l’homme engage les États à faire en sorte :
10.4 Des conditions rigoureuses pour restreindre les financements
L’accès au financement, national ou étranger, faisant partie intégrante du droit d’association, toute restriction apportée à l’accès au financement constitue une restriction au droit à la liberté d’association et doit être appréciée à la lumière du cadre juridique international et respecter donc le régime strict et ad hoc développé par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies en la matière.
[18] Aleksander Belyatsky et consorts c. Bélarus, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/90/D/1296/2004, adoption de vues du 24 juillet 2007, points 7.3. Il est intéressant de noter que l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 16 de la Convention américaine des droits de l’homme appliquent le même test en matière de restrictions à la liberté d’association (
Voir Le droit à la liberté d’association chapitre 6).
La terminologie vague est proscrite
Toute restriction apportée à l’accès par une association au financement, y compris les financements étrangers, doit être rédigée avec précision, afin d’écarter la possibilité d’interprétations arbitraires ou trop larges de ses termes.[19] Voir Ezelin c. France, CEDH, arrêt du 26 avril 1991, points 21–22, 45. Dans l’affaire Zhechev c. Bulgarie, la CEDH a par exemple considéré que le terme « activité politique » était trop large et ouvert à tellement d’interprétations potentielles que la plupart des activités menées par une organisation pouvaient être considérées comme des activités politiques :
[E]n l’espèce, ces tribunaux [les tribunaux nationaux bulgares] avaient estimé qu’une campagne en faveur de la modification de la Constitution et de la forme de gouvernement relevait de ladite catégorie. Dans une autre affaire récente, les mêmes tribunaux ont estimé, ce qui semble plus contestable, que le fait « d’organiser des réunions, des manifestations, des assemblées et d’autres formes de campagnes publiques » de la part d’une association qui plaidait pour l’autonomie régionale et les droits d’une prétendue minorité constituait aussi des objectifs et des activités politiques au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la Constitution de 1991.
[20] Zhechev c. Bulgarie, CEDH, arrêt du 21 juin 2007, point 55. (uniquement disponible en anglais)
Une interdiction totale d’accès aux financements nationaux ou étrangers imposée à des groupes accomplissant des activités, par exemple, de « nature politique », afin de préserver et de protéger un « intérêt national » vague ne satisfait pas aux exigences de légalité et de proportionnalité établies par le droit international.[21] Voir Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Information note to the Government of India. Analysis on international law, standards and principles applicable to the Foreign Contributions Act 2010 and Foreign Contributions Regulations 2011. (uniquement disponible en anglais) Pour respecter le critère de proportionnalité, la mesure de l’État doit toujours chercher à répondre à un besoin impérieux, et elle doit constituer l’option la moins draconienne (en termes de portée, de durée et d’applicabilité) dont les autorités publiques disposent pour satisfaire ce besoin.[22] Voir M. Jeong-Eun Lee c. République de Corée, Comité des droits de l’homme, Doc. des Nations Unies CCPR/C/84/D/1119/2002, adoption de vues du 20 juillet 2005, point 7.2. Les interdictions générales respectent rarement cette règle.
10.5 Partis politiques et financements étrangers
La CEDH a considéré que les restrictions apportées au financement des partis politiques, notamment ceux qui se présentent aux élections, pouvaient être justifiées. Dans l’affaire Parti Nationaliste c. France, un parti politique séparatiste basque en France avait été interdit de percevoir des financements en provenance d’un parti politique étranger. La CEDH a estimé que la restriction imposée aux financements étrangers des associations participant à la promotion des candidats à des charges publiques servait un but légitime et était proportionnée.[23] Parti Nationaliste Basque-Organisation Régionale D’Iparralde c. France, CEDH, arrêt du 7 juin 2007, point 47. La Cour a souligné que la protection de l’ordre institutionnel (y compris de la souveraineté de l’État) constituait un objectif légitime au sens de l’article 11 de la Convention européenne.[24] Parti Nationaliste Basque-Organisation Régionale D’Iparralde c. France, CEDH, arrêt du 7 juin 2007, point 43.
La Cour opère une distinction claire entre les partis politiques qui tentent d’arriver au pouvoir et les organisations qui participent à des « activités politiques ». Cette dernière expression est trop vague et donc trop large pour fonder quelque restriction que ce soit au droit à la liberté d’association.[25] Zhechev c. Bulgarie, CEDH, arrêt du 21 juin 2007, point 55. (uniquement disponible en anglais) La ComIDH a, elle aussi, fait une distinction entre les restrictions imposées aux financements étrangers des partis politiques et des organisations qui s’expriment au nom d’un parti politique, qui ne bénéficient pas de la même règle de protection, et les autres.[26] ComIDH, Second Report on the Situation of Human Rights Defenders in the Americas, OEA/Ser/L/V/II Doc. 66, 31 décembre 2011, point 185. (uniquement disponible en anglais)
Protection des intérêts nationaux ?
Les raisons pour lesquelles la liberté d’association peut être restreinte sont déterminées de façon exhaustive par le droit international (Voir Le droit à la liberté d’association chapitre 6.2). L’argument général afférent à la « protection des intérêts nationaux » pour restreindre l’accès aux financements étrangers ne constitue pas un but protégé en vertu du droit international. Dans un rapport conjoint, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements ont noté ce qui suit :
Dans le même esprit, la CEDH a considéré que les États ne pouvaient refuser d’enregistrer ou de reconnaître une association au motif qu’elle était financée par des « étrangers » ou qu’il s’agissait d’une filiale d’une association internationale.[28] Branche de Moscou de l’Armée du salut c. Russie, CEDH, arrêt du 5 octobre 2006, point 86 ; voir également, Partidul Comunistilor Nepeceristi et Ungureanu c. Roumanie, CEDH, arrêt du 2 février 2005, point 49.